23
July
2013

Dernières nouvelles du Conseil Arctique

par Michel Rocard, ancien Premier ministre, Président d'honneur du Cercle Polaire

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Le 15 mai 2013 dans l'Arctique suédois, devant l'hôtel de glace de Kiruna en pleine débâcle - © Le Cercle Polaire


La réunion ministérielle du Conseil arctique qui se tenait en mai dernier à Kiruna, dans le Grand Nord de la Suède, a été marquée par l'intégration de six nouveaux États obervateurs, et l'octroi conditionné d'un statut d'observateur permanent à l'Union Européenne. Au-delà de cette politique d'ouverture encourageante, la question du niveau de participation des observateurs reste ouverte.

J'ai vécu mon 3ème Conseil Arctique à Kiruna au Nord de la Suède au printemps 2013. C'était la huitième réunion plénière, qui clôturait le premier cycle des présidences tournantes, avec la fin de la Suédoise et l'ouverture du deuxième cycle de ces présidences par l'installation du Canada pour deux ans. Ce Conseil Arctique est précieux, il faut le saluer et le préserver même s'il est souhaitable qu'il sache évoluer quelque peu dans l'avenir. C'est l'unique institution de droit public international regroupant les cinq états riverains, Canada, Etats Unis, Russie, Norvège et Danemark, représentant toujours un Groenland en train de conquérir sa complète indépendance, et les trois états dont le territoire se situe pour partie dans la zone arctique sans qu'ils soient pour autant riverains de l'Océan Glacial Arctique proprement dit : Suède, Finlande et Islande.

Ensuite, il est la mise en œuvre concrète d'une idée dont la première formulation publique fut prononcée par Mikhaïl Gorbatchev dans un grand discours prononcé à Mourmansk en 1989. Il s'agit d'un des très rares cas où Boris Eltsine, au lieu de démolir ce qu'avait fait Gorbatchev, décida de poursuivre sa ligne ce qui permit les longs pourparlers qui aboutirent, sur un ferme soutien scandinave, à la Déclaration d'Ottawa en 1996 qui crée le Conseil, puis à sa mise en place en l'an 2000. Par le traité qui le constitue, le Conseil Arctique n'a reçu aucune compétence décisionnaire. Il ne peut qu'émettre des recommandations à l'adresse des gouvernements de ses états membres. Il n'a au long de sa courte histoire, pris qu'une seule décision obligatoire pour ses membres.

Elle est de 2011 et décide la mutualisation inter-étatique des efforts et des forces des états membres pour les opérations de recherche et de sauvetage consécutives à d'éventuels accidents navals dans l'océan.

Une autre discussion est en cours, mais non terminée celle-là, sur les précautions à prendre et sécurités à assurer en matière d'exploitation d'hydrocarbures, gaz ou pétrole. Pour le reste le Conseil Arctique est principalement le donneur d'ordres et le coordinateur général du travail scientifique de connaissance de l'Arctique.

Océanographie, glaciologie, météorologie, astronomie, milieu marin, biodiversité, modes de vie des populations autochtones, tout y passe.

Au delà des membres de plein exercice, le Conseil Arctique comporte deux catégories de membres observateurs. La première est celle des représentations institutionnelles des peuples autochtones. Il y en a six parmi lesquelles deux regroupent des petits peuples multiples, dont la principale, RAIPON (Russian Association of Indigenous Peoples of the North), et quatre pour des peuples unifiés à langue unique dont les principaux sont les Sami, ailleurs souvent appelés Lapons, et surtout la « Conférence Circumpolaire Inuit » qui rassemble les Inuits de l'Alaska, du Canada et du Groenland.

A cela s'ajoutent des états membres observateurs permanents. De 2000 à 2013 ils furent six : Grande Bretagne, France, Pays Bas, Allemagne, Espagne et Pologne, tous choisis à raison de l'importance de leur travail de recherche scientifique consacrée à l'Arctique.

Le Conseil de Tromso en 2009 avait reçu trois candidatures supplémentaires au statut de membre observateur permanent : l'Italie, la Chine et l'Union Européenne.

Sur demande canadienne, ces trois demandes furent rejetées. Le Conseil fit dire à l'Italie et à la Chine qu'il n'avait rien contre eux, mais que c'était l'Europe dont il ne voulait pas. Protocolairement il était moins voyant de reporter le tout, leur propre adhésion devant se faire un peu plus tard.

Le Ministre des Affaires étrangères canadien Lawrence Cannon eut cette belle phrase « Les européens n'ont pas de sensibilité arctique, comme le montre leur combat contre la chasse aux phoques... ». Cela n'empêche pas l'Union Européenne d'être de loin le plus gros fournisseur de crédits pour la recherche scientifique en Arctique, ni la Chine d'avoir pris cela très mal et d'afficher à ce sujet des colères publiques répétitives. Il y a bien sûr une forte disproportion entre la raison du conflit et ses résultats...

Le Conseil Arctique se réunit une demie journée tous les deux ans au niveau ministériel, dans une ville du pays qui en exerce la présidence tournante.

Cela laisse le temps de donner la parole aux huit ministres représentant des états membres, et aux six chefs des délégations indigènes. Ceux-ci se confondent en remerciements sur l'honneur qui leur est ainsi fait et énoncent modestement et prudemment leurs inquiétudes sur les conséquences du réchauffement climatique. La situation intérieure de ces peuples, en Alaska et surtout en Russie, est lourde d'incertitudes... J'avais assisté parfois à des cérémonies de ce genre, en Algérie, voici plus de 55 ans maintenant... Comment ne pas évoquer un léger malaise.

En tous cas personne d'autre n'a la parole, et notamment pas les états observateurs permanents. Toutes les conversations, négociations et décisions sont conduites et prises entre les seuls membres permanents dans la soirée qui précède. Je ne connais pas d'autre cas où la France, comme les autres états concernés d'ailleurs, lorsqu'elle est membre observateur d'une institution importante, rejoigne silencieusement et discrètement son banc après les politesses d'usage pour s'y taire obstinément pendant tout le temps de la réunion et découvrir à la fin un projet de déclaration auquel elle n'a en rien contribué...

Tout cela n'enlève naturellement rien à la délicieuse convivialité, à la mode scandinave pour l'essentiel, des agapes qui suivent.

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Michel Rocard et Paula Kankaanpää, directrice du Centre Arctique de Rovaniemi et membre de la délégation finlandaise au Conseil Arctique - © Le Cercle Polaire


La Présidence suédoise qui vient de se terminer, avait notamment à son ordre du jour pour ses deux ans, non seulement le problème des nouvelles adhésions mais aussi celui de la définition du statut et du rôle des membres observateurs. A ce deuxième problème, elle n'a pas pu ou pas voulu toucher... Ce sera pour les canadiens.

Quant au premier, le Conseil y est allé à la louche. Six nouveaux Etats, d'un coup, ont été acceptés comme membres observateurs permanents : l'Italie, la Chine, l'Inde, le Japon, la Corée du Sud et Singapour. Quand ils s'apercevront que cela ne leur donne ni le droit à la parole, ni celui de discuter les projets de résolutions ou de décisions, J'anticipe un peu de bourrasque dans les pourparlers internes. Cela aussi sera pour les canadiens.

Quant à l'Union Européenne, la Déclaration de Kiruna affirme que son adhésion va de soi et sera la bienvenue, et qu'elle sera chose faite dès que seront terminées les négociations sur la chasse aux phoques, que chacun sait pourtant délicates.

Quant au reste, la Déclaration de Kiruna est, notamment sur le réchauffement climatique, un ensemble de recommandations chaleureuses et souvent pertinentes, mais sans effet aucun.

Le Conseil Arctique n'a par ailleurs jamais discuté de la pêche future dans les eaux libérées de glaces, où il n'existe pas d'organisation régionale de pêche comme il s'en est pourtant créé huit ou neuf ailleurs dans le monde... Les infrastructures nécessaires à la viabilisation de la future route maritime polaire, ni le statut de cette navigation, ne sont pas non plus des sujets évoqués par le Conseil Arctique.

En gros le Conseil Arctique se conduit donc comme un syndicat de copropriétaires désireux de dissuader tout nouvel adhérent de venir fréquenter la zone. Or plus la glace fond, plus l'Arctique se réchauffe, et plus il sera possible de s'y livrer à toutes les activités humaines imaginables : navigation hauturière, recherche scientifique, tourisme, pêche, activités minière on shore ou off shore de toutes natures. Il y aura donc de plus en plus d'usagers de l'Arctique non riverains : c'est bien eux qu'il s'agit d'associer au travail scientifique diplomatique et juridique nécessaire pour préparer tout cela dans les meilleures conditions possibles de confiance mutuelle, de coopération internationale, et de protection renforcée de l'environnement local.

Le Conseil Arctique devrait remplir cette fonction. Son mode de fonctionnement actuel ne lui permet pas. Il faut souhaiter que la nouvelle Présidence canadienne, parfaitement informée de tout cela, entreprenne les changements nécessaires.

Michel Rocard

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