18 Octobre 2012
Été 2012
Une année record dans l’histoire récente des glaces de mer arctiques
L’année 2012 est celle d’un nouveau record en terme d’étendue des glaces de mer arctiques. Le 16 septembre 2012, l’étendue des glaces passait par un minimum inégalé sur la période des observations satellitaires, c’est-à dire depuis 1979. La surface d’océan englacé dans l’hémisphère Nord a atteint la valeur de 3.41 millions km2, battant de quelques 750 000 km2 (soit une différence de surface d’environ 1,4 fois la superficie de la France métropolitaine), le précédent record de 4.17 millions km2 enregistré le 18 septembre 2007.
Arctic sea Ice extent on September 15th 2012 (right) compared with minimum Sea Ice extent on September 16th 2007 – © Cryosphere Today
Sur la base des moyennes mensuelles de l’étendue des glaces, l’année 2012 est aussi un record pour ce qui concerne le mois de septembre (3.61 millions km2 contre 4.30 millions km2 en 2007, soit presque 50% de moins que la moyenne des mois de septembre sur la période 1979-2000). Mais le record est aussi vrai pour le mois d’août. La décroissance saisonnière de la glace cette année s’est en effet accélérée au début du mois d’aout de sorte que dès le26 août, l’on savait que l’étendue des glaces battrait le record du 18 septembre 2007.
Si chaque année au mois de septembre l’étendue des glaces arctiques atteint son minimum au terme de la saison de fonte estivale, cette étendue varie fortement d’une année sur l’autre, et ces variations sont visibles sur les moyennes du mois de septembre. Ainsi, après le record de 2007, septembre 2008 puis septembre 2009 ont vu un couvert de glace plus étendu. Le record de 2012 s’inscrit dans une diminution persistante du couvert de septembre depuis 2009.
Au-delà de ces larges fluctuations interannuelles difficilement prévisibles, l’on constate sur le plus long terme une tendance moyenne à la décroissance. L’amplitude de cette tendance dépend largement de la longueur de la période considérée. Des études basées sur des reconstructions historiques suggèrent qu’elle se serait amorcée dès la fin du 19ème siècle. Si l’on se réfère au début de la période des observations satellitaires, cette tendance à la décroissance s’accélère chaque année depuis 1996, année où l’étendue du couvert de glace de septembre a établi un record inégalé sur la période satellitaire, avec une valeur de 7.88 millions de km2 dépassant celle de 1979. Un couvert aussi étendu au mois de septembre n’a plus été enregistré depuis lors et la lente décroissance moyenne de 36 000 km2/an sur la période 1979-1996 s’est amplifiée sur la décennie suivante pour atteindre 72 000 km2/an sur la période 1979-2007, soit le double. Suite au record de cette année, la tendance de l’étendue des glaces de septembre atteint plus de 90 000 km2/an en moyenne sur la période complète, la période 2007-2012 englobant les six mois de septembre les moins englacés sur la période totale. De fait chaque année le déficit de glace par rapport au début de la période est tel qu’il contribue à accentuer toujours un peu plus la tendance à la décroissance en dépit de fluctuations interannuelles importantes.
Ce qui fait de l’année 2012 une année remarquable est la perte anormalement élevée de glace de mer entre le maximum hivernal de mars et le minimum estival de septembre : presque 12 millions de km2 ont ainsi disparu entre le 20 mars et le 16 septembre, ce qui représente 50% de plus que ce que l’on s’accordait à considérer comme la perte saisonnière “habituelle” dans les années 1979-2000.
Arctic sea Ice extent on September 16th 2012 compared with median Sea Ice extent for 1979 – 2000 period – © NSICD
Au-delà de leur étendue totale, la caractérisation de l’évolution des glaces arctiques doit aussi se fonder sur leur distribution géographique. En nous limitant au mois de septembre, on peut déjà remarquer de forts contrastes de distribution d’une année sur l’autre. Comparant par exemple les deux années phares, 2007 et 2012, la deuxième se distingue de la première par un retrait anormal très marqué des glaces de mer dans le secteur Atlantique, notamment en mer de Barents et en mer de Kara. Le désenglacement de ce secteur était déjà remarquable en 2007 mais il n’avait pas atteint une ampleur suffisante pour libérer totalement des glaces la route maritime du Nord (RMN). Une avancée de banquise a persisté tout au long de l’été à l’est de l’archipel de la Terre du Nord. A la différence, en 2012, la RMN s’est libérée totalement des glaces pour la première fois depuis que les satellites nous donnent une vision globale.
Cette année se caractérise aussi par un retrait total des glaces dans le secteur de la mer de Beaufort. Le passage du Nord-Ouest (PNO) reste cependant sensible à la dérive des glaces pluriannuelles : un désenglacement au nord des passages peut aussi libérer des morceaux de glace dérivante qui viennent boucher les chenaux. Cette situation s’est produite cet été dans le chenal de Parry qui, au contraire de l’année 2007, est resté presque continuellement encombré de glace.
Les causes du nouveau record de minimum annuel d’englacement sont encore largement débattues. La distribution géographique du couvert, et plus spécifiquement de ses anomalies (par rapport notamment à une normale climatologique) est une information importante qui, une fois reliée à la distribution géographique des anomalies atmosphériques (vent, température de surface) ou océaniques (courants, température de surface, structure verticale de la colonne d’eau) peut nous guider dans la recherche des mécanismes responsables.
Pour autant, l’année 2012 est une année singulière en ce sens que l’historique des situations météorologiques de l’été 2012 ne permet pas de mettre en évidence des anomalies particulièrement notables ou persistantes des propriétés océaniques et atmosphériques. La tempête exceptionnelle qui s’est développée début août dans l’extrême est de la Sibérie (le Grand Cyclone Arctique) et qui s’est ensuite dirigée vers le centre de l’Arctique a certainement favorisé le délitement de la banquise dans ces régions, et donc l’absorption de rayonnement solaire dans les fractures ainsi créées, la glace devenant plus vulnérable au réchauffement de l’océan et à l’action des vents.
Toutefois, cette tempête a également été à l’origine d’un refroidissement local que l’on a pu détecter. Quoiqu’il en soit, ces effets peuvent difficilement être mis en relation avec le retrait des glaces dans le secteur Atlantique. La situation de l’année 2012 contraste avec celle de l’année 2007 où un régime dipolaire de pression atmosphérique établi entre le Groenland et le nord de l’Eurasie avait favorisé tout à la fois l’arrivée de masses d’air chaudes sur le secteur des mers des Tchoukches et de Sibérie Orientale et l’export de glace par le détroit de Fram. Au lieu d’un tel dipôle, on a plutôt observé au cours de l’été 2012 une différence de pression en mer de Beaufort. La structure était favorable à des vents chauds du sud et à un réchauffement dans cette région alors même qu’une anomalie froide se développait sur le secteur de la mer de Barents concerné par un retrait particulièrement notable des glaces.
Il y a aussi lieu de s’intéresser au rôle de l’océan dans la fonte anormale de glaces de mer au cours de l’été 2012. On sait que celui-ci a joué un rôle important dans l’évolution du couvert de glace au cours de l’été 2007, notamment dans le secteur des eaux pacifiques. En 2012, les températures de surface océaniques étaient de presque 5°C supérieures à la normale dans les mers de Beaufort, des Tchoukches et de Laptev. Mais la question se pose de savoir s’il s’agit là d’une cause ou d’une conséquence du désenglacement.
Evolution of Arctic sea ice extent as of October 15, 2012, along with daily ice extent data for the previous five years. 2012 is shown in blue, 2011 in orange, 2010 in pink, 2009 in navy, 2008 in purple, and 2007 in green – © NSICD
Les études en cours devraient permettre de préciser les mécanismes à l’origine de l’évènement de 2012, pour notamment l’évaluer au regard de la variabilité que l’on connait sur les 30 dernières années. La glace est un milieu complexe. Sa réponse aux flux de chaleur atmosphérique et océanique, à l’origine de fonte ou de croissance, ou aux vents et courants, à l’origine de sa dérive, est largement modulée par sa structure interne : épaisseur, température, salinité, résistance, toutes caractéristiques que nous ne pouvons que très partiellement observer aujourd’hui. Pourtant cette structure détermine en partie l’évolution de la glace car elle constitue la mémoire des événements passés et permet à la glace de développer une variabilité qui lui est propre. Ainsi une glace mince réagira différemment à une anomalie de vents qu’une glace épaisse. Cette mémoire de la glace agit sur l’échelle aussi bien saisonnière que pluri-annuelle. Elle pourrait avoir contribué au préconditionnement du couvert de glace avant l’épisode particulièrement marqué de 2012.
Marie-Noëlle Houssais
Pour en savoir plus :
Voir le site du Polar view center de l’Université de Bremen (Germany)
Voir le site du NSIDC (National Snow and Ice Data Center – USA)
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