Groenland, vers un Etat Inuit indépendant ?

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Peinture de l’artiste groenlandaise Julie Edel Hardenberg sur un immeuble d’habitation dans le centre de Nuuk, capitale du Groenland, août 2009 – © Stanislas Pottier – le Cercle Polaire


Juillet 2010

Groenland, vers un Etat Inuit indépendant ?

Le Groenland est-il sur le point de devenir le premier État autochtone indépendant de l’Arctique ? Entamée il y a trente ans et consolidée en juin 2009, l’indépendance du Groenland semble à la fois inéluctable et lointaine.

Le 21 juin 2009, un nouveau statut d’autonomie renforcé est entré en vigueur au profit du Groenland à la suite d’un référendum organisé en novembre 2008, soumis au vote du parlement danois le 19 mai 2009. Une nouvelle étape est ainsi franchie sur la longue route de l’indépendance, entamée il y a maintenant 30 ans avec l’établissement, en 1979, d’une autonomie juridique et d’un gouvernement propre au Groenland. A tout moment, les 57 000 groenlandais dont 80% d’Inuit, peuvent obtenir sur simple demande, l’organisation d’un référendum sur leur indépendance totale à l’égard du Danemark. D’ores et déjà, ils ont la possibilité de réclamer le transfert d’une trentaine de nouvelles compétences, dont certaines très importantes comme la police ou la justice, même si la monnaie, la défense ou la politique étrangère restent encore sous le contrôle de Copenhague. Le nouveau statut reconnaît les Groenlandais comme un peuple. Le Kalaallisut est aussi devenu la langue officielle de l’île.
Il est intéressant de noter que cette évolution n’a pas suscité de grand débat national au Danemark et que le nouveau statut a reçu un soutien quasi unanime de la classe politique, hormis le parti d’extrême droite. A l’heure du réchauffement climatique et des spéculations sur les trésors de l’Arctique, les Danois semblent avoir fait leur deuil des richesses que le Groenland recèlerait et dont l’exploitation pourrait devenir possible dans les décennies qui viennent. Nuuk, capitale et siège du gouvernement groenlandais, a désormais le plein contrôle des ressources de l’île et de la zone économique exclusive qui l’entoure.
Pour le moment néanmoins, les finances de l’île sont dans un état désastreux et la contribution danoise au budget du Groenland, de l’ordre de 3,3 milliards de couronnes, représente encore 59% des ressources budgétaires et 30% du PIB de l’île. Or tout nouveau transfert de compétence ne sera désormais plus financé par Copenhague et Nuuk devra en assumer le coût. Le parti au pouvoir depuis les élections législatives groenlandaises de juin 2009, Inuit Ataqatigiit (IA), est indépendantiste, mais de l’aveu même du nouveau Chef du gouvernement, Kuupik Kleist : « l’indépendance viendra, j’en suis persuadé, mais elle n’est pas à l’ordre du jour de mon gouvernement dans les quatre années à venir. […] Cela prendra du temps ». Son prédécesseur Hans Enoksen, dont la formation sociale-démocrate Siumut qui a incarné le pouvoir pendant 30 ans, avait lui avancé que l’indépendance viendrait en 2021, trois siècles après la grande expédition du missionnaire Hans Egede, « l’Apôtre du Groenland », en 1721, qui marqua le début de la colonisation.

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Peausseries – peaux de phoques et de rennes – dans le port de Qaqortoq, août 2009 – © S. Pottier – le Cercle Polaire


Le pragmatisme des autorités inuit, rassurant, ne conçoit donc pas d’indépendance sans autonomie économique et financière, et celle-ci exigera encore du temps et des efforts. La pêche – essentiellement le flétan et les crevettes – représente encore une part écrasante des exportations. Les productions minières – or, rubis, diamants et métaux rares – progressent, avec trois mines en opération et cinq devant ouvrir dans les 5 prochaines années, mais restent encore marginales. La production de minerais rares – dont le Groenland pourrait être la première réserve mondiale – est également freinée par l’interdiction légale d’extraction d’uranium, souvent présent dans les gisements prospectés. Le débat est vif sur cette question et de manière plus générale, sur l’équilibre à trouver entre préservation de l’environnement et développement économique. Les hydrocarbures n’en sont qu’à leur tout début, et des droits d’exploration viennent d’être accordés par le gouvernement groenlandais, fin octobre 2009, à 13 compagnies pétrolières pour étudier 14 sites en baie de Baffin. Le tourisme se développe rapidement, mais sans encore profiter beaucoup aux populations locales. Quant aux peaux de phoques, élément essentiel de la vie traditionnelle des Inuit, elles n’ont quasiment plus de marché à l’international depuis la décision européenne d’en interdire le commerce. Même si Bruxelles a prévu dans ses textes une exception pour la chasse traditionnelle inuit, la décision a suffisamment perturbé les circuits commerciaux pour faire s’effondrer les exportations groenlandaises : 400 peaux vendues ces deux dernières années pour un stock d’invendus de 200 000 peaux.

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Bateaux de pêche dans le port de Qaqortok, août 2009 – © S. Pottier – le Cercle Polaire


On évalue ainsi à une vingtaine d’années le délai nécessaire avant que les éventuels revenus des ressources minières et pétrolières puissent égaler l’actuel Block Grant danois – contribution de Copenhague au budget du Groenland. Ce qui est certain, c’est que le Groenland, tout en intégrant les impératifs environnementaux, entend profiter de ces nouvelles opportunités. Les négociations sur les engagements d’émission de carbone avec Copenhague ont donc été très difficiles ces derniers mois et Nuuk n’entend pas sacrifier la possibilité de développer ses projets d’exploitations minières et pétrolières ou l’implantation de la fonderie d’aluminium, projetée dans le sud de l’île avec l’entreprise américaine Alcoa.

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Pêcheurs au flétan, baie d’Ilulissat, août 2009 – © S. Pottier – le Cercle Polaire


Sans attendre son indépendance, Nuuk réfléchit déjà à sa place dans le monde et à ses engagements internationaux. Il y a sans doute là une opportunité pour l’Europe de repenser le partenariat qu’elle a noué avec l’île et de resserrer des liens indispensables pour cette communauté qui s’intègre brutalement à la mondialisation. A défaut, ces liens seront tissés avec d’autres. Nuuk s’était désolidarisé de la Communauté européenne en 1984, après un référendum en 1982, pour échapper à la politique commune de la pêche. L’île était alors devenue un des « pays et territoires d’outre-mer (PTOM) » de l’Union. Concrètement, les ressortissants des PTOM sont des citoyens de l’Union, mais ces pays ne font pas partie du territoire communautaire. En conséquence, le droit communautaire ne s’applique pas directement à eux, tout en leur accordant un statut d’associés aux États membres. Des accords spécifiques entre l’Union, le Danemark et le Groenland règlent depuis 1985 – ils ont été amendés pour la dernière fois en 2007 – les relation entre Nuuk et l’Europe, notamment en matière de pêche.

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Le Deutschland, navire de croisière allemand, Christian Sund, juillet 2009 – © S. Pottier – le Cercle Polaire


Les relations entre l’Europe et le Groenland ont été plutôt tendues et chaotiques ces derniers temps, mais la porte n’est pas fermée et Nuuk reste très intéressée par l’aventure politique que représente l’Union européenne. Le débat local sur l’appartenance à l’UE reprend d’ailleurs de la vigueur. Kuupik Kleist, lors d’une récente visite officielle à Bruxelles, a déclaré qu’il n’était pas contre l’octroi du statut d’observateur permanent à la Commission européenne par le Conseil de l’Arctique, à condition toutefois que les institutions européennes « prennent conscience qu’il n’y a pas que des animaux exotiques au Groenland, il y a aussi des êtres humains ».

Stanislas Pottier


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