Avril 2019
Le retour des États-Unis en Islande
Michael Pompeo, Secrétaire d’État au centre Harpa, le 15 février – © mbl.is/Kristinn Magnússon
Quand l’Amérique s’absente d’une partie du monde, les souris accourent ! C’est en substance, le message que le Secrétaire d’État américain Michaël Pompeo était venu délivrer aux officiels islandais à l’occasion d’une courte escale à Reykjavik, le 15 février dernier, stigmatisant ouvertement le positionnement stratégique de puissances adverses de l’Amérique dans l’Arctique de l’Est, notamment en “terre de glace ”. Le but affiché de cette halte islandaise était double : évoquer les questions de défense et de sécurité dans l’Atlantique Nord et discuter des opportunités de coopération économique entre les États-Unis et l’Islande dans la perspective de la future présidence islandaise du conseil de l’Arctique.
“L’Islande occupe une place stratégique dans le monde”, a déclaré le chef de la diplomatie américaine Mike Pompeo, rappelant qu’en 1986, ce petit pays situé dans une position centrale entre l’Amérique et l’Europe, avait accueilli la rencontre entre le président américain Ronald Reagan et le secrétaire général Mikhaïl Gorbachev qui devait mettre fin à plusieurs décennies de guerre froide. Il se pourrait que l’intérêt stratégique de l’Islande, tombé en désuétude depuis la chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’Union soviétique, connaisse un regain d’actualité avec le nouveau contexte sécuritaire de l’Europe dominé par des tensions entre les puissances occidentales et la Russie, à la suite de l’annexion de la Crimée et du conflit dans l’est de l’Ukraine.
L’Islande occupe aussi une place stratégique à la frontière des deux Arctiques, l’Arctique de l’Ouest dominé par le sous-continent nord-américain, et l’Arctique de l’Est occupé par le continent eurasien, et le pays pourrait devenir à terme, un hub maritime – plateforme de redistribution des marchandises conteneurisées – avec la route maritime du Nord qui longe les côtes septentrionales de la Russie. Cette position l’expose à la convoitise de plusieurs puissances arctiques et subarctiques, notamment la Chine qui se définit elle-même comme une puissance du proche-Arctique et s’intéresse de très près à l’Islande avec laquelle elle a signé plusieurs accords de coopération économique. On a suffisamment souligné la fréquence élevée des visites d’officiels chinois en Islande au cours de ces dernières années, pour ne pas y revenir, et les Américains ne s’y sont pas trompés, eux qui dénoncent le positionnement stratégique de la Chine en Islande, facilité, a dit Mike Pompeo, par la “négligence des précédents gouvernements des États-Unis d’Amérique” ; “Nous savons bien que lorsque l’Amérique s’absente d’une partie du monde, des nations comme la Chine et la Russie ne tardent pas à venir combler le vide ; c’est inévitable, quand nous ne sommes pas là !”, a-t-il expliqué lors de la conférence de presse qu’il a donné avec son homologue islandais Gudlaugur Thor Thordarson. “L’Islande, alliée des États-Unis, ne sera plus négligée ! ”, a-t-il déclaré, annonçant qu’ils prévoyaient de renforcer les échanges commerciaux entre les deux pays et, de mettre en place une coopération renforcée avec la future présidence islandaise du conseil de l’Arctique, comme pour faire contrepoids à l’offre chinoise. Après ces déclarations de Mike Pompeo, des diplomates américains relayés par l’agence Reuters, ont expliqué, sous couvert d’anonymat, que “les États-Unis ont à cœur de montrer au monde qu’ils sont une nation arctique, une puissance arctique”.
L’Islande, petit pays perdu au milieu de l’Atlantique Nord, peut bien décider de se tourner vers de nouveaux marchés et en particulier vers la Chine dont le déploiement économique mondial s’étend jusqu’aux confins de l’hémisphère Nord, avec la route maritime du Nord, futur maillon de la nouvelle route de la soie ; mais ce libéralisme économique ne peut pas ignorer la dimension géostratégique qui sous-tend la politique d’investissement économique de la Chine à l’échelle mondiale. Dès 2005, le rapport annuel du Pentagone identifiait la Chine comme la menace à long terme la plus sérieuse pour la sécurité globale des États-Unis.
“Les États-Unis mesurent très bien les grands défis géostratégiques qui se jouent et vont se jouer dans l’Arctique », a expliqué Michaël Pompeo, rappelant que « Les États-Unis et l’Islande sont de vieux amis face à de nouveaux défis”. Interrogé lors de la conférence de presse sur le déploiement de forces militaires russes dans l’Arctique, le Secrétaire d’État américain a répondu : “Nous voyons les adversaires de l’Amérique déployer des moyens dans l’Arctique qui pourraient à terme, affaiblir stratégiquement les États-Unis, l’Islande et les pays européens”. Pour comprendre le sens de cette déclaration, il convient d’avoir à l’esprit que le “déploiement de moyens dans l’Arctique” ne recouvre pas seulement un processus de militarisation de l’Arctique russe, mais également et surtout pour nous Européens de l’Europe du Nord et du nord de l’Europe de l’Ouest, l’activisme militaire russe dans la zone maritime de l’Atlantique Nord, où des bâtiments de surface et des sous-marins viennent patrouiller dans les zones de déploiement possible des forces océaniques stratégiques, surveillance prioritaire françaises et britanniques. A cela s’ajoutent, les intrusions récurrentes de bombardiers russes dans les espaces aériens de la Finlande, de l’Islande, de la Suède et de la Norvège. De par sa situation géographique, l’Islande se trouve aux premières loges, donnant une actualité redoublée à l’accord de protection militaire des Américains de 1951 et à l’Alliance atlantique sur lesquels le système de défense et de sécurité nationale de ce petit pays, sans armée, repose intégralement.
“Aujourd’hui comme hier, a rappelé Mike Pompeo, les États-Unis et l’Islande sont côte à côte dans une communauté transatlantique forte” et dans le nouveau contexte sécuritaire européen, l’Islande retrouve une dimension stratégique qui a conduit à intensifier la coopération militaire entre les deux pays, notamment par une présence accrue de forces militaires américaines en terre de glace, et la rénovation de l’ancienne base de Keflavik pour accueillir des avions de patrouille maritime “P-8 Poseidon”.
Au final, le message du ministre américain à l’adresse du gouvernement islandais est clair : du fait de sa position stratégique, l’Islande ne peut pas impunément jouer sur les deux tableaux, économique et stratégique, comme si ces deux registres étaient indépendants l’un de l’autre. L’alliée des États-Unis ne peut pas faire la part trop belle aux intérêts de la Chine, adversaire de Washington. Comme le note le dernier rapport américain sur la Sécurité nationale de 2017 : “La Chine et la Russie ont commencé à réaffirmer leur influence à l’échelle régionale et mondiale. Aujourd’hui, ils mettent en place des forces militaires en vue d’empêcher les accès aux États-Unis en temps de crise et pour contester notre capacité à opérer librement dans des zones commerciales critiques en temps de paix. Bref, ils contestent nos avantages géopolitiques et tentent de changer l’ordre international en leur faveur”. Et contrairement à ce qu’a laissé entendre le secrétaire d’État Pompeo, les stratégies des anciens présidents, Georges W. Bush et Barack Obama, et aujourd’hui Donald Trump, ont clairement été définies pour contrecarrer l’avancée chinoise. Rappelons le message d’alerte que les journalistes Richard Bernstein et Ross Munro ont propagé dans leur ouvrage Chine-États-Unis : danger pour ouvrir les yeux de la population américaine à la menace chinoise : “Le rôle qu’envisage de jouer la Chine sur la scène internationale et les relations qu’elle tisse avec des pays occidentaux rivaux sont néfastes pour les États-Unis”.
Ironie de l’histoire, trois mois après la visite du secrétaire d’État américain Michael Pompeo à Reykjavik, qui résonne comme un rappel à l’ordre, se tiendra à Shanghaï, les 10 et 11 mai prochains, la conférence internationale de l’Arctic Circle fondée par l’ancien président islandais Ólafur Ragnar Grímsson consacrée à “La Chine et l’Arctique”, et l’on sait les efforts que ce chef d’État islandais a déployé au cours de ses deux derniers mandats pour attirer la Chine dans son pays, allant jusqu’à théoriser la légitimité de l’intérêt chinois pour les deux pôles, l’Arctique et l’Antarctique, en invoquant un troisième pôle, les plateaux Tibétains.
Laurent Mayet
Pour en savoir plus :
Lire “China’s Arctic Policy” (PDF)
Mardi 2 avril 2019, Chroniques littorales, le journal des mers et des océans de José-Manuel Lamarque avec Laurent Mayet, France Inter
Vendredi 8 mars 2019, Les Etats-Unis augmentent leur présence en Arctique pour contrer les Russes, Russia Today France.