Au cœur de la nuit antarctique, les manchots empereurs font le dos rond pour résiter à des températures de -60°C et des vents soufflant à 200 km/h – ©suivi-animal.u-strasbg.fr
Avril 2010
Chaud les manchots !
Au cœur de la nuit antarctique, harassés par les tempêtes de glaces, des manchots empereurs font le dos rond des jours durant pour survivre au froid épouvantable : cette scène de la « Marche de l’empereur » (film de Luc Jacquet, 2005) est l’une des plus frigorifiques du cinéma. Mais la réalité est toute autre. Car le principal problème des manchots empereurs réunis en groupe, c’est la chaleur tropicale qui y règne. Telle est la stupéfiante découverte réalisée par Yvon Le Maho, André Ancel et Caroline Gilbert, chercheurs au Centre d’écologie et physiologie énergétiques (CNRS) de Strasbourg.
Les manchots empereurs vivent exclusivement sur le continent antarctique. Pour se reproduire, il s’éloignent à l’automne de la banquise et de ses prédateurs, et rejoignent la terre, où les températures chutent jusqu’à -60°C et les vents soufflent à 200 km/h. Une fois les couples formés, les oeufs pondus – un seul par couple –, les mâles assurent l’incubation de l’œuf délicatement posé sur leurs pieds, enfoui sous un épais repli de peau. Les femelles, de leur côté, entament un périple de plusieurs dizaines de kilomètres sur la glace pour aller s’alimenter en mer, abandonnant les mâles à l’hiver austral.
Soumis au jeûne, exposés à des températures glaciales, les mâles se regroupent en « tortues », à l’instar des légions romaines qui, pour se défendre, formaient un groupe serré du même nom. L’objectif est d’exposer le moins possible de surface corporelle à l’ennemi – au froid dans le cas des manchots. Il y a quelques années, les chercheurs du CNRS avaient mis en évidence que les manchots regroupés en tortue maigrissaient deux fois moins vite que les manchots isolés. N’exposant que le haut du dos au vent froid, les manchots peuvent tenir 100 à 120 jours sans manger, là où un individu isolé tiendrait au plus 60 jours.
La formation en tortue est une adaptation comportementale qui permet aux manchots, serrés les uns contres les autres à 8 ou 10 animaux au mètre carré, de se constituer un micro environnement où la température peut monter jusqu’à +35°C ! – © Samuel Blanc / www.sblanc.com
Pendant cette période de couvaison, « l’oiseau abaisse son métabolisme, sans que sa température interne ne diminue, puisque l’œuf doit être maintenu à 36°C, souligne Yvon Le Maho. Il s’agit d’un mécanisme différent de l’hibernation de la marmotte ou de l’ours. » Quel est donc le secret de l’empereur ? Pour le savoir, il fallait pouvoir pénétrer au sein d’une tortue… Mission impossible, a priori. Les chercheurs ont alors eu l’idée d’équiper les oiseaux de capteurs ultra-miniaturisés, pour enregistrer la température et la luminosité à l’intérieur de la tortue. Ils se sont aperçus que, régulièrement, la lumière y disparaissait, tandis que la température ambiante augmentait jusqu’à 35°C.
« Les manchots s’assemblent en groupes denses de huit à dix manchots au m2, au sein desquels la pression est si phénoménale que parfois un animal se retrouve au-dessus des autres », décrit Yvon Le Maho. Aucune lumière ne pénètre dans cette grappe d’animaux et la chaleur s’y accumule. Mais lorsque le seuil de 35°C est atteint – toutes les 1h30 en moyenne – le groupe se défait, évitant les risques d’hyperthermie.
Les chercheurs comparent maintenant ce mécanisme à celui des nouveaux-nés de mammifères serrés les uns contre les autres dans les premiers instants de leur vie. « L’écologie de demain, c’est l’écologie des mécanismes, conclut Yvon Le Maho. On sort de la description pour comprendre le fonctionnement et le potentiel d’innovation des espèces ».
Sylvie Rouat, Avril 2010
© Le Cercle Polaire – Décembre 2010 – Tous droits réservés