Novembre 2022

Colloque « Michel Rocard et l'écologie »

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Colloque « Michel Rocard et l'écologie » - @MichelRocard.org


 

A l’occasion du colloque « Michel Rocard et l’écologie » qui se tiendra le 18 novembre au Sénat, organisé par MichelRocard.org en partenariat avec la fondation Jean Jaurès, l’association le Cercle Polaire a préparé une rétrospective en images et en mots de l’action de l’ancien Premier ministre sur les zones polaires

Michel Rocard, le vieil homme et les pôles.

L’engagement écologique et le combat pour la préservation des pôles de Michel Rocard constituent deux composantes fortes et singulières de la carrière de l’ancien Premier ministre que le PR François Hollande n’a pas manqué de mettre en exergue dans l’hommage national qu’il lui a rendu, le 7 juillet 2016, dans la cour d’honneur de l’hôtel des Invalides : « L’environnement, l’écologie : Michel Rocard fut là encore un pionnier. En 1989, c’est à son initiative qu’avait été lancé l’appel de La Haye, 43 pays, les cinq continents représentés, qui demandaient l’introduction d’un mécanisme contraignant pour lutter contre le réchauffement climatique. C’était le début du processus qui mènera à la COP21 et qui aboutit à la signature de l’Accord de Paris du 12 décembre 2015 ». Et le PR d’ajouter : « Michel Rocard fut le premier dirigeant à se mobiliser pour la sauvegarde des pôles. Son rôle fut décisif pour l’adoption du protocole de Madrid qui a consacré le sixième continent, l’Antarctique, réserve naturelle mondiale exclusivement dédiée à la paix et à la science, interdite à toute exploitation économique. Ce qui lui valut d’être nommé en 2009, Ambassadeur de France pour les pôles, l’Arctique et l’Antarctique, une mission qu’il a prise très à cœur, au point de multiplier, au risque pour sa santé, des déplacements dans des régions particulièrement inhospitalières » (Discours du PR, 7juillet 2016).

L’action de l’ancien PM français et de son homologue australien Robert Hawke en faveur du renforcement de la gouvernance écologique de l’Antarctique a marqué un tournant dans l’histoire de la gouvernance du sixième continent. Le 25 novembre 1988, la convention dite de Wellington ou convention sur la Règlementation des activités relatives aux ressources minérales en Antarctique était ouverte à la ratification et la plupart des Parties consultatives au traité sur l’Antarctique étaient disposées à la ratifier. Lors de sa visite d’État en France, en juin 1989, le PM australien Robert Hawke et le PM Michel Rocard lançaient une action conjointe pour mettre un terme à ce processus. Avec l’accord du PR François Mitterrand, un communiqué franco-australien annonçait que la France et l’Australie ne ratifieraient pas la convention de Wellington, compromettant ainsi l’entrée en vigueur de la Règlementation des activités relatives aux ressources minérales de l’Antarctique.

Les deux PM voulaient aller plus loin et promouvoir un régime ambitieux de protection de l’environnement de l’Antarctique. Le 18 août 1989, un deuxième communiqué franco-australien annonçait que « les deux Premiers ministres français et australien ont indiqué que l’exploitation minière en Antarctique n’est pas compatible avec la protection de l’environnement fragile de l’Antarctique [...] et proposeront aux Parties au Traité de négocier une convention globale de protection de l’environnement qui fera de l’Antarctique, une réserve naturelle » (Communiqué conjoint des Premiers ministres français et australien, Canberra, Australie, le 18 août 1989). La France et l’Australie présentaient leur proposition à la XVe réunion des Parties consultatives au traité sur l’Antarctique (RCTA XV) qui se tenait à Paris en octobre 1989, et appelaient les autres Parties à ouvrir de nouvelles négociations. Le 4 octobre 1991 était signé à Madrid, le Protocole au Traité sur l’Antarctique relatif à la protection de l’environnement qui interdit « toute activité relative aux ressources minérales autre que la recherche scientifique » et impose que « les activités sont organisées et menées sur la base d'informations suffisantes pour permettre l’évaluation préalable et l’appréciation éclairée de leurs incidences éventuelles sur l’environnement en Antarctique et sur les écosystèmes dépendants et associés ». Pour la première fois dans l’histoire mondiale, une très vaste partie de la superficie du globe était classée « réserve naturelle » et soumise à un régime de stricte protection environnementale.

Dix-huit ans plus tard, en juin 2007, le collectif le Cercle Polaire (LCP) sollicitait le député européen Michel Rocard pour demander son soutien dans un projet de renforcement de la gouvernance écologique de l’océan Arctique, en l’occurrence un projet de traité sur la protection de l’environnement arctique élaborée par un groupe d’experts réunis au sein de l’association LCP. Michel Rocard créait à son tour, un groupe d’études sur l’Arctique au Parlement européen, d’abord avec le parti socialiste européen puis avec tous les partis politiques confondus, en vue de préparer un projet de résolution sur la gouvernance arctique qui a été présenté et adopté le 9 octobre 2008 : « le Parlement européen suggère que la Commission soit prête à œuvrer en faveur de l'ouverture de négociations internationales visant à parvenir à l'adoption d'un traité international pour la protection de l'Arctique, s'inspirant du traité sur l'Antarctique, complété par le protocole de Madrid en 1991, mais respectant la différence fondamentale résidant dans le fait que l'Arctique est peuplé et dans les droits et les besoins des populations et des nations de la région arctique qui en découlent; estime cependant qu'un tel traité pourrait, dans un tout premier temps, couvrir au moins les zones non peuplées et non revendiquées du centre de l'océan Arctique » (Résolution « Gouvernance arctique », 9 octobre 2008).

L’initiative de Michel Rocard et du Cercle Polaire relative à un traité international de protection environnementale de l’océan Arctique central, inspiré mutatis mutandis du système du traité sur l’Antarctique, a été souvent raillée et verra cependant le jour le 3 octobre 2018, avec l’accord international d’interdiction de la pêche non règlementée dans la haute mer de l’océan Arctique central qui établit un moratoire de pêche d’au moins 16 ans. Le projet de gouvernance écologique de l’océan Arctique du Cercle Polaire promu par Michel Rocard a également servi de base d’inspiration à la rédaction de la loi du Grenelle de l’environnement I au Parlement français : « Afin d'en protéger l'environnement, la France promouvra ou accompagnera, dans le cadre des instances internationales compétentes, l'adaptation de la réglementation internationale aux nouveaux usages de l'océan Arctique rendus possibles par son accessibilité croissante » (Loi 2009-967 du 3 août 2009).

A l’issue de ces deux actions en faveur du renforcement de la gouvernance écologique de l’Arctique, Michel Rocard terminait son dernier mandat de parlementaire européen. Sur proposition de l’association le Cercle Polaire, le PR Nicolas Sarkozy et le MAE Bernard Kouchner nommaient Michel Rocard, ambassadeur chargé de la négociation internationale sur les pôles, l’Arctique et l’Antarctique. L’action de l’ambassadeur concernant l’Antarctique a porté principalement sur la relance du processus de ratification du protocole de Madrid que nombre de Parties au Traité n’avaient pas ratifié. Lors de la 35e réunion des Parties consultatives au traité sur l’Antarctique (RCTA XXXV) qui se tenait à Hobart en Tasmanie, en juin 2012, une déclaration conjointe des deux anciens PM, Michel Rocard et Robert Hawke permit la relance du processus de ratification du protocole de Madrid. Quelques vingt pays antarctiques participèrent à cette action d’intérêt général. Le lendemain de la séance plénière de cette réunion, le quotidien tasmanien Mercury publiait en couverture, un photomontage des deux pères politiques du protocole de Madrid devant un iceberg assorti de la légende suivante : « Les Papys (Old Mates) qui ont façonné l’histoire de l’Antarctique ». Et la manchette d’expliquer que : «l’ancien PM Bob Hawke et l’ancien PM français Michel Rocard ont été salué lors de la 35e réunion internationale sur l’Antarctique comme ‟les sauveurs de l’Antarctique“ pour avoir réussi ce qui paraissait impossible il y a vingt ans, à savoir convaincre les nations du monde entier de mettre leurs intérêts nationaux et notamment leurs revendications de souveraineté de côté, pour promouvoir un moratoire minier en Antarctique dans l’intérêt de l’humanité tout entière » (Mercury, édition du 12 juin 2012).

Pendant les années qui ont suivi, Michel Rocard participera chaque année aux RCTA pour appuyer différentes démarches et actions : promotion de la mise en place d’aires marines protégées en mer de Ross à la CCAMLR ; promotion de la mutualisation des infrastructures et de la logistique des programmes antarctiques nationaux au service de la coopération scientifique internationale ; relance du processus de ratification du protocole de Madrid ; promotion du moratoire minier comme pilier de l’harmonie international en Antarctique ; etc.

S’agissant de l’Arctique, l’action de l’ambassadeur pour les pôles a consisté en une représentation régulière de la France aux réunions du conseil de l’Arctique - n’en déplaise à Ségolène Royal qui avait publiquement affirmé le contraire -, et, de 2009 à 2015, il a participé à 7 réunions du conseil de l’Arctique (réunions ministérielles et vice-ministérielle, SAO et conférences ministérielles) ; l’objectif principal de sa mission a été de mettre en place et de pérenniser une synergie interministérielle (quinze services issus de 5 ministères) en vue d’élaborer une vision multisectorielle de l’Arctique qui au terme de trois années de travail, a été consignée dans un document de diplomatie publique, la « Feuille de route nationale sur l’Arctique », que Michel Rocard a présenté le 14 juin 2016, en présence du MAE Jean-Marc Ayrault, dix-huit jours avant son décès. « Notre Feuille de route, avait expliqué Michel Rocard, dans son intervention à cette conférence ministérielle, remarque et écrit qu’il ne s’agit pas en Arctique que d’intérêts nationaux. Les règles de demain concernant la pêche, la navigation commerciale, l’activité minière ou pétrolière doivent concerner les eaux libres. Il s’agit ici de l’intérêt général de la planète et pas seulement de la conjugaison de nos intérêts nationaux. Cet intérêt général, il faut l’énoncer et le défendre. Que la diplomatie mondiale travaille aussi à l’intérêt général du monde n’est pas tout à fait une nouveauté, voyez l’Antarctique ou l’espace. Mais c’est suffisamment important en Arctique pour devoir être dit, et souligné. La Feuille de Route de la France pour l’Arctique se veut aussi pour une part une contribution au progrès de la diplomatie mondiale » (FRNA, Diplomatie).

L’engagement écologique de l’ancien Premier ministre était indissociable d’un amour de la nature qui remontait à ses jeunes années de scoutisme et qu’il avait cultivé tout au long de sa vie en pratiquant la plaisance et le planeur. La découverte des pôles vint s’ajouter tardivement à des carnets de voyage déjà bien remplis alors qu’il avait 79 ans. De retour de sa première expédition en Péninsule Antarctique en janvier 2009, il avait déclaré : « J’avais pour l’Antarctique une sorte d’amitié distante, une envie de voir ce que j’avais contribué à préserver. C’est tout à fait inouï ! Ces paysages sont sans pareil ! On a l’impression d’être au commencement du monde, d’une certaine façon ; et quand on a passé quelques temps dans ce genre de paysage, j’ai l’impression qu’on est plus le même homme, on change un peu soi-même ». Au cours des six années qui suivront ce premier pèlerinage, Michel Rocard enchainera une dizaine d’expéditions polaires sur fonds privés, à bord de navires de croisière de la compagnie Ponant, du navire l’Astrolabe, d’un avion russe Antonov-74, d’un LC-130 américain, du remorqueur de haute mer de Marine nationale, le RHM Tenace, du brise-glace Amundsen de la garde-côtière canadienne, ou sous tente en Antarctique au campement Union Glacier par -20°C, dans les zones les plus hostiles et les plus reculées de la planète, y compris les mythiques pôles géographiques de la planète, le pôle Nord géographique qu’il a atteint le 20 avril 2011 et le pôle Sud géographique, qu’il a rejoint le 12 janvier 2012. « L’ex-Premier ministre socialiste Michel Rocard, est devenu lundi le second homme d’Etat après le prince Albert II de Monaco à se rendre au pôle Nord », annonçait l’AFP dans une dépêche du 20 avril 2011. Et quelques mois plus tard Le Monde, dans son édition du 27 janvier 2012 annonçait à son tour : « L’ancien Premier ministre Michel Rocard vient de réaliser un record. Il est le premier octogénaire à s’être rendu aux deux pôles géographiques du globe. Le socialiste, ambassadeur de France pour les régions polaires, depuis mars 2009, vient de rentrer d’un périple de deux semaines dans l’Antarctique où il a atteint le pôle Sud géographique le 21 janvier. Michel Rocard est le deuxième homme d’État dans l’histoire, après le Prince Albert II, à s’être rendu aux deux pôles géographiques du globe ».

Michel Rocard a également été le premier homme d’État français à visiter l’ensemble des infrastructures françaises polaires, à savoir la station côtière française de Dumont d’Urville, la base continentale franco- italienne Concordia et les deux stations gérées par la France dans l’archipel arctique du Svalbard, la station Charles Rabot et la station Jean Corbel. A l’occasion d’un déplacement au cap Horn, une journaliste interrogeait l’ancien PM : « Mais pourquoi vous faites tout ça ? ». Michel Rocard avait répondu un tantinet impatienté : « Mais parce qu’on est bien sur la planète ! Vous avez envie de la voir polluée vous ? Vous aussi, vous avez des enfants... je veux dire, qu’est-ce qu’il faut de plus ! » (L’appel des pôles, Ushuaïa TV, Ch. Oberdorff, 2012).

Rétrospectivement, comme cela a été souligné plusieurs fois par des commentateurs, « Michel Rocard aura été l’un des rares hommes politiques français qui auront marqué la seconde moitié du XXe siècle à manifester un intérêt fort pour les intérêts écologiques » (Le Monde, Dominique Bourg, 4 juillet 2016).

Le 12 février 2013, à l’invitation de l’Institut polaire australien (Australian Antarctic Division), l’ancien PM australien Robert Hawke s’était rendu à la station Casey en Antarctique pour inaugurer un bâtiment (« Wilkins Runway Living Quarters ») rebaptisé pour la circonstance « The Hon R.J.L Hawke AC Living Quarters » ou plus simplement « la cabane de Hawke » (Hawke’s Hut) en hommage à l’action de l’ancien PM australien en faveur de la protection environnementale de l’Antarctique. Dans les jours qui suivirent cette annonce, l’association le Cercle Polaire avait envoyé un courrier au directeur de l’Institut polaire français Yves Frenot, pour suggérer que l’IPEV et les TAAF puissent considérer une semblable initiative à l’égard de Michel Rocard. La réponse avait été que la proposition ne pourrait être considérée qu’à titre posthume, comme c’est la règle au sein de la Commission du patrimoine historique des toponymes des TAAF. Sept ans plus tard, au début de l’année 2020, le directeur de l’Institut Polaire français Jérôme Chappellaz, sollicitait l’association le Cercle Polaire pour nourrir une nouvelle démarche auprès de la Commission du patrimoine historique et de la toponymie des TAAF.

L’année suivante, le samedi 20 novembre 2021 à 17h00 heure locale précise (8h00 en métropole), le directeur de l’Institut polaire français Paul-Emile Victor (IPEV) Jérôme Chappellaz et le préfet, administrateur supérieur des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) Charles Giusti, accompagnés de Florentin Camus (technicien IPEV), du pilote et du mécanicien hélicoptère, ont déposé une plaque commémorative "Baie Michel-Rocard" en face de la baie située immédiatement à l'est de la première station antarctique française, Port Martin, en terre Adélie, en Antarctique. La plaque en bronze massif d’environ 15 kg (25 x 40 cm) a été fixée sur un rocher. Elle comporte un portrait gravé de l’ancien Premier ministre et le texte suivant : « Baie Michel Rocard, 23 août 1930 - 2 juillet 2016 ; Premier ministre français 1988-1991 ; Initiateur avec le Premier ministre australien Robert Hawke, du Protocole de Madrid 1991, relatif à la protection de l’environnement antarctique ; Ambassadeur pour les pôles 2009-2016 ».

Lointains et inhospitaliers, les pôles ultra-préservés sont des symboles universels et constituent un patrimoine naturel mondial pour une humanité en quête de nouveaux équilibres. « Pôle de paix et de coopération internationale » (Mikhaïl Gorbachev, discours de Mourmansk, 1987) pour l’Arctique ; « terre de paix et de science » pour l’Antarctique (protocole de Madrid, 1991), « les deux pôles offrent aux nations du monde une opportunité de travailler ensemble au XXIe siècle », avait déclaré la secrétaire d’Etat Hilary Clinton en 2009, lors du cinquantième anniversaire du traité de l’Antarctique où le tout juste nouvellement nommé ambassadeur pour les pôles Michel Rocard représentait la France. Le message sera-t-il entendu ? Rien n’est moins sûr et Michel Rocard était sur ce point assez pessimiste, même s’il cultivait l’optimisme de la volonté.

Maintenant que Michel nous a quittés, la responsabilité du collectif le Cercle Polaire a cru démesurément ; il nous faut marcher sur ses traces, sans espérer s’abriter derrière lui. Michel tu peux compter sur nous pour continuer le combat pour la préservation des zones polaires.

Laurent Mayet

Pour en savoir plus :
Colloque Michel Rocard et l’écologie, 18 novembre 2022

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