Plus de 20 navires polaires en construction

Vers un surtourisme sur le continent blanc ?

Depuis 30 ans, le tourisme austral connaît un essor notable et menace d’atteindre un niveau alarmant dans les prochaines années, avec le doublement annoncé du nombre de navires et de passagers concentrés sur une petite partie de la Péninsule Antarctique.

Roura128Le tourisme en région Antarctique est antérieur à la signature du traité de Washington signé le 1er décembre 1959 (ou traité sur l’Antarctique) . Il a été un sujet de discussion pour les Parties consultatives au traité sur l’Antarctique (RCTA) dès les premières réunions en 1961. La croissance du tourisme austral en particulier, est devenue un sujet de discussion dans les RCTA et dans les milieux académiques. Les premiers instruments de règlementation du tourisme adoptés aux RCTA concernaient les visites de stations, la protection de certains sites sensibles et de monuments historiques et l’interdiction de débarquement sur des îles nouvellement formées. En ce temps-là, peu de navires opéraient dans les eaux antarctiques avec seulement une centaine de visiteurs par saison.

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Seul au bout du monde ! Cette promesse du tourisme de croisière australe est de plus en plsu difficile à concilier avec l’augmentation du nombre de navires et de touristes en Péninsule Antarctique - © Le Cercle Polaire


À la différence, aujourd’hui, le tourisme austral est une activité à échelle industrielle bien établie qui concerne plusieurs dizaines de milliers de touristes chaque année pendant une saison qui dure environ cinq mois. L’évolution moyenne, bien sûr dynamique, mais aussi relativement stable, du tourisme austral au cours des vingt dernières années, dans un contexte règlementaire non juridiquement contraignant, est sur le point de connaître une nouvelle phase. En effet, une croissance significative du tourisme austral est attendue dans les prochaines années, redonnant à l’augmentation du tourisme en Antarctique, un niveau de priorité élevé pour les acteurs économiques, les décideurs politiques, les autorités compétentes et l’ensemble des parties prenantes. Cet article examine les tendances récentes et à venir de la croissance et de la diversification du tourisme en région Antarctique, et discute la pertinence de l’application du concept de « surtourisme » à la région Antarctique. Quelles sont les tendances prévisibles de l’évolution du tourisme dans les années à venir, en comparaison de cette évolution au cours des deux dernières décennies ? Quelles sont les conséquences prévisibles de cette évolution ? Et enfin, le tourisme en région Antarctique est-il sur le point d’entrer dans un régime de surtourisme pour ce qui concerne certains sites à certaines périodes de l’année ?

La présente réflexion est nourrie de la participation active de l’ONG « Antarctic Southern Ocean Coalition » (ASOC) comme observateur aux discussions sur le tourisme aux réunions annuelles des Parties aux Traité sur l’Antarctique et dans les groupes de travail de cette enceinte, au cours des vingt dernières années. En 2008, l’ASOC avait conduit une étude sur les tendances du tourisme en Antarctique sur une période temporelle d’une dizaine d’années précédentes, à partir de la saison d’été 1997-1998. Cette analyse portait plus spécifiquement sur la nature et les tendances du tourisme en Antarctique, avec un accent mis sur la gestion des activités touristiques et la gouvernance de la zone Antarctique en général, ainsi que sur des mesures souhaitables (ou recommandations) en matière de règlementation. Cet article reprend à son compte, de manière rétrospective, ces résultats dans la perspective d’une augmentation significative anticipée du taux de croissance du tourisme austral. S’agissant de la nature et des tendances du tourisme austral, la présente analyse s’appuie sur les données et les analyses fournies par l’« International Association of Antarctica Tour Operators » (IAATO) dans ses rapports annuels, avec une attention particulière portée à cette évolution sur des périodes d’environ une dizaine d’années. Cette analyse s’appuie également sur des observations plus récentes du comportement de touristes en zones polaires, au Svalbard (2015 et 2017) et en Antarctique (2017).

Le tourisme austral engage une dynamique qui dépend de plusieurs paramètres corrélés les uns aux autres, incluant en particulier la croissance du nombre de visiteurs, l’expansion géographique couplée à une concentration spatiale des activités touristiques ; des sites de débarquements devenus au fil des années, des destinations touristiques incontournables ; la diversification des moyens de transport, la diversification des activités touristiques et enfin, une augmentation de la clientèle.

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Principaux circuits de croisière en antarctique. L’essentiel du tourisme de croisière autour de cet immense continent est concentré sur quelques dizaines de sites situés dans le nord de la Péninsule Antarctique. La mer de Ross, bien plus lointaine est beaucoup moins visitée - © Le Cercle Polaire


Le tourisme est resté cantonné à des niveaux de fréquentation assez bas depuis la fin des années 1950 jusqu’aux années 1990, et plus tard vers la fin des années 2000, où il a connu une augmentation significative. Vers la fin de cette seconde période, le tourisme antarctique était marqué par les tendances suivantes :
• Augmentation continue du tourisme avec un doublement du nombre de touristes tous les 2-3 ans à peu près, avec une augmentation concomitante du nombre d’opérateurs, de navires, de personnel et de membres d’équipages ; par exemple, pendant la saison 2006-2007, le total de touristes a doublé par rapport à la saison 2002-2003, selon des chiffres de l’IAATO ;
• Standardisation de ce que l’on pourrait nommer des « destinations de tourisme de masse », soit des lieux « incontournables » qui apparaissent invariablement dans les itinéraires touristiques, où des centaines, voire des milliers de touristes débarquent à chaque saison, représentant un pourcentage important du total de débarquements enregistrés par saison. Cette top-list est à l’origine d’un phénomène de concentration du tourisme austral sur un nombre relativement limité de sites, dans des zones géographiques elles-mêmes très circonscrites. D’autres sites moins prisés connaissent eux-mêmes une fréquentation régulière, mais de moindre poids numérique que ceux de la top-list ;
• Expansion géographique, même si pour l’essentiel, les activités touristiques sont concentrées dans le nord de la Péninsule Antarctique, avec quelques activités en mer de Ross et quelques autres en Antarctique continental, elles-mêmes sujettes à une relative expansion ;
• Diversification des activités et développement du tourisme actif que la langue anglaise traduit bien par l’expression activity-based tourism (marathon, randonnée, camping, kayak, escalade, plongée bouteille, etc.) au détriment du tourisme plus traditionnel de découverte tournée vers la visite des sites historiques et l’observation de la faune sauvage que s’y trouvent en locations spécifiques. À titre indicatif, le tourisme actif représentait environ 5 000 à 15 000 touristes pendant la saison 2006-2007 selon des statistiques de l’IAATO ; et enfin,
• Règlementation juridiquement contraignante des activités touristiques très limitée. Entre 2004 et 2009, concomitamment à la croissance du tourisme, la RCTA a adopté deux mesures juridiquement contraignantes relatives au tourisme, ainsi que l’Annexe VI du protocole relatif à la protection de l’environnement du traité sur l’Antarctique (concernant la « Responsabilité découlant de situations critiques pour l’environnement », par exemple relatif aux déversements de carburant que pourrait résulter du naufrage d’un navire de tourisme.). Mais aucun de ces instruments n’est à ce jour entré en vigueur.

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Navigation à risque. Les compagnies de croisières rivalisent d’audace pour mieux satisfaire la curiosité de leurs clients, parfois au mépris des règles de sécurité, notamment en approchant des fronts de glaciers et icebergs potentiellement instables - © Le Cercle Polaire


Le tourisme en région Antarctique a connu un pic au cours de l’été austral 2007-2008 pour retomber ensuite. Le naufrage du navire MV Explorer en novembre de 2007 a sans doute échaudé les touristes potentiels, mais les effets de cet accident sur la clientèle sont difficiles à évaluer. Ce qui est en revanche assez clair, c’est l’impact de la crise économique globale d’octobre 2008, sur la demande de voyages en Antarctique.

Les limitations imposées au débarquement de passagers qui pèsent sur les navires de plus de 500 passagers depuis 2009, ont encouragé le développement d’un tourisme de croisière sans débarquement, à savoir un tourisme assuré par des navires de grandes capacités qui ne proposent pas de débarquement avec leurs propres moyens logistiques (Mesure 15, RCTA 2009, non encore entrée en vigueur, mais appliquée par la plupart des opérateurs). Dans les années 2000, ce tourisme de croisière sans débarquement était en plein essor, et s’il continue aujourd’hui d’être une option retenue par certains touristes, il diminue sensiblement.

Le moratoire sur l’utilisation du fuel lourd adopté par l’Organisation Maritime Internationale (OMI) et entré en vigueur le 1er août 2011, a contribué à décourager les navires de grandes capacités (transportant jusqu’à plusieurs milliers de passagers) qui dépendent largement de ce type de fuel et dont la conversion technologique aux fuels légers est trop coûteuse, eu égard à leur modèle économique. Ces facteurs ont été à l’origine d’une chute du nombre de touristes en Antarctique à partir de la fin des années 2000.

Pour autant, le total annuel de touristes en Antarctique a fini par retrouver une pente ascendante pour atteindre et dépasser aujourd’hui le niveau qu’il avait atteint en 2007-2008, soit un total de 46 000 touristes ayant ou n’ayant pas débarqués. D’une manière générale, les survols sans atterrissage de l’Antarctique sont en diminution tandis que les visites en combinaison de vol et croisière (fly-cruise tourism, en anglais) et le tourisme continental sont eux, en augmentation. Les dernières saisons ont été marquées par une nouvelle augmentation du nombre de voyages et de touristes débarquant en Antarctique, en particulier des passagers acheminés vers des sites de débarquements sur des bateaux gonflables (Naveen). Au cours des deux dernières saisons 2017-2018 et 2018-2019, respectivement, 51 000 et 55 500 touristes, ont navigué dans les eaux antarctiques en débarquant ou pas.

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Tourisme de cabotage. Une fois arrivés en Antarctique, les navires de croisière naviguent et mouillent à proximité immédiate des côtes. En l’absence d’infrastructures hôtelières à terre, les navires font office d’hôtels flottants - © Le Cercle Polaire


Les prévisions relatives à l’augmentation future du tourisme en Antarctique tiennent comptent principalement du nombre de navires en construction dont la livraison est prévue pour les prochaines années, ainsi que de l’intérêt croissant des marchés asiatiques pour le tourisme polaire. Entre 16 et 20 navires de croisière sont actuellement en cours de construction pour opérer à terme dans les eaux polaires, et potentiellement davantage encore, sont en projet. Certaines sources du milieu industriel (Cruise Industry News, 2019) indiquent que 40 nouveaux navires d’expédition au total seraient en préparation au sein des compagnies qui opèrent déjà dans les eaux polaires. Quelques-uns d’entre eux seront bien sûr destinés à remplacer des navires existants, mais la résultante de ces tendances devrait être une augmentation nette de la capacité du marché du tourisme de croisière austral et par conséquent, une tendance à la hausse du nombre de touristes. Le nombre de touristes attendus pour la saison 2019-2020 devrait atteindre presque 78 000 incluant tous les passagers ayant ou pas débarqués.

L’anticipation de cette escalade du nombre de croisiéristes en Antarctique est bien connue de tous ceux, industriels ou non, qui suivent l’évolution du tourisme austral. Certains tours opérateurs s’interrogent sur la solidité de ces prévisions. L’augmentation prévue de la capacité en termes de navires est difficilement contestable, mais certains opérateurs avancent que les délais de livraison pourraient ne pas être respectés et l’augmentation de la capacité de transports de personnes s’étalerait alors sur une période de temps plus importante. D’autres ne se résolvent pas à accorder leur créance à la prévision d’une augmentation de 40 % ou plus du nombre de passagers, même sur la base de scénarios prospectifs crédibles d’augmentation de la capacité et de la demande de voyages en Antarctique. Par contraste, d’autres opérateurs expriment leur inquiétude relativement à une situation qu’ils jugent ingérable dans certains endroits de l’Antarctique où le modèle de gestion des opérations repose sur des activités concentrées sur une petite partie de la côte nord-ouest de la Péninsule Antarctique. Dans cette zone de l’Antarctique, les opérateurs doivent se coordonner de manière précise pour organiser les débarquements, afin d’éviter les chevauchements entre navires sur un même site ; cette précaution est essentielle, car elle est au cœur de l’offre touristique en terre antarctique : « l’expérience d’une nature sauvage ». Cette gestion est de plus en plus malaisée à assurer et peut d’ailleurs être à tout moment, gravement perturbée par la présence de glace de mer et par les conditions météorologiques de très grande variabilité. Par exemple, une glace de mer épaisse présente sur une route maritime très fréquentée par les navires de croisière peut perturber la programmation des débarquements sur certains sites et être à l’origine d’un encombrement ingérable de navires sur d’autres sites.

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Pas plus de 100 passagers à la fois. Les limitations imposées au débarquement de passagers qui pèsent sur les navires de plus de 500 personnes, depuis 2009, favorisent le développement d’un tourisme de croisière de faible capacité - © Le Cercle Polaire (à gauche) et https://luxuryescapes.com/ (à droite)


L’IAATO a proposé plusieurs moyens de faire face à cette augmentation du tourisme en Antarctique qui s’appuient pour l’essentiel sur quatre principes : redéfinir l’expérience Antarctique (gérer les attentes des touristes) ; renforcer les normes de sécurité et de protection de l’environnement ; gestion des sites ; renforcement de la coopération scientifique (incluant la promotion de la science dite « participative »). Certaines propositions sont des initiatives nouvelles quand d’autres ont déjà été expérimentées. L’IAATO a également introduit des aménagements à son « planificateur » (en anglais, scheduler) pour faciliter la gestion des navires et des communications. Grâce à ce planificateur, chaque navire connaît la position et le programme de visites des autres navires. La nouvelle version du planificateur devrait permettre de rationaliser le mouvement d’un plus grand nombre de navires encore.

Hormis le tourisme de croisière, d’autres modalités du tourisme austral pourraient connaitre une augmentation significative, notamment en lien avec l’expansion et le renforcement des liaisons aériennes avec l’Antarctique. Le tourisme de cabotage où les passagers sont acheminés par avion en Antarctique et embarquent sur place sur leur navire, évitant une navigation longue et parfois difficile, est en augmentation. Le tourisme continental dépendant des transports aériens (en anglais, deep-field tourism), a lui-même augmenté au cours de la dernière décennie tout en continuant à rester une activité de niche.

Certains types d’activités touristiques sont rendues possibles par l’utilisation de pistes et d’infrastructures gérées par les programmes antarctiques nationaux. Ces activités vont probablement augmenter dans le triangle Union Glacier — Terre de la Reine Maud — Pôle Sud. Ce vaste territoire combine des pistes d’atterrissage et des infrastructures d’accueil des touristes à certains endroits situés relativement près de la côte, avec des accès terrestres au pôle Sud, constituant un lieu très attractif pour les expéditions autonomes ou avec assistance. Pour autant, la dynamique du tourisme continental est très différente de celle du tourisme de croisière, et la situation générale du tourisme continental est moins bien connue. Dans ce type de tourisme, l’éloignement et les difficultés d’accès sont à l’origine de coûts très élevés et les tours opérateurs ciblent la dernière tranche du marché du tourisme. Le nombre total de touristes sur le continent antarctique (quelques centaines par an) est de un ou deux ordres de grandeur plus petits que celui du tourisme de croisière, et selon toute vraisemblance, devrait rester à des niveaux de fréquentation relativement bas. Il n’en reste pas moins que la création de nouvelles pistes et de liaisons aériennes par les programmes antarctiques nationaux et certains opérateurs privés, ainsi que le développement de transports terrestres assurés par des véhicules à roues spécialisés, devrait favoriser une augmentation relativement importante du tourisme continental en Antarctique.

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Evolution du tourisme austral La croissance rapide du tourisme antarctique concerne toutes les formes de tourisme - © Le Cercle Polaire


Le tourisme austral a radicalement changé de visage au cours des deux dernières décennies, en comparaison de ce qu’il était avant cette période, et promet de connaitre une nouvelle phase de développement dans le futur proche. Les changements importants attendus sont pour une part liés aux besoins des opérateurs de diversifier leurs produits et de proposer une offre originale qui les distingue de leurs concurrents ; et pour une autre part, à l’augmentation de la demande et l’impact de nouvelles technologies.

Le tourisme austral recouvre des activités tournées vers la découverte des caractéristiques exceptionnelles de l’Antarctique, des activités sportives plus ou moins aventureuses et des activités de divertissement à bord des navires. Au cours des débarquements, les visiteurs polaires « traditionnels » adoptent des comportements touristiques standards : ballades autour des sites visités, collectes d’informations sur les sites, collecte de souvenirs ( essentiellement photos et autres souvenirs virtuels, etc. À ces comportements standards s’ajoutent une large palette d’initiatives moins communes, voire plus excentriques, incluant potentiellement des comportements peu conformes, comme la réalisation de graffitis. Une vaste gamme d’autres activités proposées aux touristes, comme le kayak ou le camping, contribuent à élargir cette palette de comportements des touristes polaires, conformes et aussi potentiellement non conformes.

Au cours des dernières années, des développements technologiques et des changements de comportements associés à ces technologies — particulièrement, la démocratisation du téléphone portable, de la photographie numérique, des réseaux sociaux, etc. — ont contribué à transformer le comportement des touristes et plus largement l’expérience touristique. La fabrique d’images est devenue un élément prédominant du comportement touristique en Antarctique. Les images ne sont plus seulement prises pour un usage privé, mais pour les mettre en partage sur des réseaux sociaux. La photo de soi ou autoportrait (« selfie ») en Antarctique participe de ce nouveau comportement qui consiste à publier sur les réseaux sociaux les moments de sa vie à destination d’une communauté d’« amis » virtuels. On pourrait dire que pour beaucoup de visiteurs, le tourisme de découverte de l’Antarctique — forme basique du tourisme — est de plus en plus médiatisé par la technologie, de plus en plus autocentré, et de plus en plus tourné vers la publication ouverte d’une mise en scène photographique de soi-même plutôt que vers une expérience intérieure d’immersion. En bref, le tourisme antarctique semble sur le point de devenir plus banal.

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Le boréal de la compagnie Ponant. Avec une capacité de 240 passagers pour 140 membres d’équipage, ce navire propose des escales en bordure de la banquise, dans laquelle il ne peut progresser. Son actuel record est de 68 ° 40’ S - © Le Cercle Polaire


Pour autant, tous les touristes ne s’adonnent pas à cette fabrique frénétique d’images. Dans une étude consacrée à trois articles de non-fiction écrits au cours de croisières en Antarctique, le chercheur Elizabeth Leane (2019) notait que les auteurs s’employaient à résister à cette mode grégaire de fabrique d’images. Au lieu de cela, ils choisissent de se différencier des masses touristiques en ne prennant presque aucune photos.

L’usage des drones en Antarctique promettait d’avoir un impact sur le tourisme, et pourrait encore en avoir un dans le futur. Les « systèmes d’aéronef pilotés à distance », nommés à l’international RPAS, pour « Remotely Piloted Aircraft System », sont utilisés dans des contextes variés, comme bien sûr la prise de vue aérienne. La référence aux drones (RPAS) dans les documents de travail et d’information de la RCTA est apparue en 2014, en lien avec l’utilisation grandissante de drones par les scientifiques et les touristes en Antarctique.

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Le Kapitan Khlebnikov Navire brise-glace de l’ère soviétique, opérant depuis 1990 comme navire de croisière, il accueille 110 passagers pour 70 membres d’équipage. Son moteur de 24 000 chevaux et sa technologie brise-glace permettent à ce navire de progresser dans la banquise et d’atteindre des sites inaccessibles aux autres. Son record est de 78 ° 40’ S - © www.chimuadventures.com/


Du côté du secteur industriel aéronautique, les drones étaient à l’origine tolérés, mais en 2015, l’IAATO a décidé un moratoire partiel sur l’utilisation des drones par les touristes à partir de la saison 2015-2016. L’utilisation récréative des RPAS dans des sites côtiers où la faune sauvage est abondante n’est pas autorisée par l’IAATO jusqu’à ce que le principe d’un usage responsable soit mieux documenté. L’IAATO a fait savoir qu’elle prévoyait de revoir ce moratoire chaque année en mai pendant les RCTA, pour permettre aux décideurs — les Parties consultatives au traité sur l’Antarctique — de prendre la vraie mesure des éventuelles avancées technologiques. L’IAATO a décidé que l’utilisation récréative des drones sur le continent antarctique était autorisée « sous des conditions strictes dûment contrôlées ». Au plan intergouvernemental, plusieurs années de discussion ont conduit à une résolution de la RCTA (Résolution 4, 2018) relative aux « Lignes directrices environnementales pour l’exploitation des systèmes d’aéronef pilotés à distance (RPAS) en Antarctique ». Bien que non obligatoires, ces lignes directrices constituent la référence en matière de bonnes pratiques environnementales pour programmer et conduire des activités de pilotage d’avion sans pilote et sans passager en Antarctique, et peuvent être utilisées pour instruire des décisions des autorités compétentes au niveau national.

L’IAATO et les Parties au traité sur l’Antarctique ont pris relativement tôt des décisions de précaution pour empêcher que cette technologie, qui peut être à l’origine d’effets dangereux sur la faune ou la sécurité des personnes, mais également d’une transformation potentiellement indésirable de l’expérience touristique, se démocratise auprès des visiteurs, avant que l’on sache mesurer son impact. Cette question devrait, à n’en pas douter, être tranchée dans le futur.

Le tourisme commercial de croisière autour de la Péninsule Antarctique a cru de manière significative depuis la fin des années 1980 utilisant principalement les ports du sud de l’Amérique du Sud. Certaines conditions telles qu’une relative courte distance à une ville dotée d’un port et d’un aéroport international, un littoral escarpé avec une faune abondante et de nombreux sites historiques, des paysages spectaculaires, ont permis à cette forme particulière de tourisme de croisière qui existe aujourd’hui de se développer - grosso modo, une croisière expédition tenant dans un séjour de vacances d’une durée de deux à trois semaines. En bref, le tourisme antarctique est devenu assez accessible aux touristes des États-Unis, de l’Europe occidentale et de plus en plus de la Chine, au moins d’un point de vue logistique. Ce tourisme s’est diversifié en un tourisme standard de croisière avec ou sans débarquement, un tourisme de cabotage où les touristes sont acheminés par avion à leur bateau, évitant les passages maritimes souvent agités. Une étude sur la nature du tourisme de croisière confirme que : « les débarquements de passagers et le trafic maritime sont fortement concentrés sur un petit nombre de lieux et la croissance de l’activité touristique dans ces endroits est disproportionnée relativement à la croissance enregistrée sur l’ensemble de la péninsule ». Les sites le plus visités se trouvent concentrés dans une région de l’Antarctique que n’est pas plus grande que certaines des régions françaises, par exemple le Grand Est. Un des premiers indicateurs de croissance du tourisme en Antarctique était les « Lignes directrices pour les visites de sites » (en anglais, Site Guidelines for Visitors ou SGV), un instrument non obligatoire d’abord adopté par la réunion des Parties consultatives au traité sur l’Antarctique de 2005 (RCTA 2005, Résolution 5) proposant des règles pratiques à l’attention des tours opérateurs et des visiteurs, relatives à la conduite des activités sur certains sites. Ce guide de Bonnes pratiques répondait au constat d’une croissance continue du tourisme en Antarctique qui se concentre pour l’essentiel sur certains sites seulement, à l’origine d’une forte pression anthropique.

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Du tourisme de découverte au tourisme sportif. Le tourisme d’activités sportives en milieu extrême connaît une croissance relativement importante - © Steve Boyle


Le guide de Bonnes pratiques complétait d’autres outils de « droit mou » qui encadrent le débarquement de passagers à terre. La majorité des règles de ce guide s’appliquent aux sites de la Péninsule Antarctique. Pendant la saison 2007-2008, 14 sites étaient concernés par les règles du SGV adoptés par la RCTA, soit une fraction seulement des sites fréquemment visités, considérés comme prioritaires (RCTA 2007, Résolution 1). Pendant la saison 2017-2018, 39 sites étaient concernés par les règles de la SGV adoptées à la RCTA (RCTA 2018, résolution 1). Cette augmentation témoigne à elle seule des progrès réalisés par la RCTA pour appliquer le guide SGV à l’ensemble des sites les plus visités, mais aussi de l’importance grandissante de cette priorité dans le contexte d’un tourisme austral en plein essor.

La prévision d’une augmentation du nombre de touristes de 40 %, voire plus, dans les prochaines années, laisse augurer une augmentation concomitante de la pression anthropique exercée sur un nombre relativement limité de sites libres de glaces en été où se concentrent de nombreux débarquements. Ces considérations conduisent à poser la question d’un éventuel surtourisme en Antarctique. Le terme de surtourisme, apparu pour la première dans les réseaux sociaux en 2012 (avec le hashtag #overtourism), est de plus en plus utilisé par les grands médias, les organisations de tourisme et les milieux académiques. Ce terme n’est pas clairement défini. Une définition du « surtourisme » est proposée dans le dictionnaire usuel Collins : « phénomène qui caractérise une destination très populaire ou un site surutilisé par les touristes d’une manière non durable ». Une récente étude sur le « surtourisme en Europe » réalisée pour le compte de l’Union européenne avance la définition suivante : « le surtourisme recouvre une situation dans laquelle l’impact du tourisme, en certains endroits et à certains moments de l’année, excède les seuils de capacités physiques, écologique, social, économique, psychologique et politique ».

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Whale watching. L’augmentation d’observations rapprochées et de poursuite par les navires, les zodiacs et les kayaks peut générer des changements de comportements notables des baleines ainsi harcelées. L’IAATO a récemment soutenu la mise en place de mesures d’encadrement pour l’observation des baleines - © www.wildernesstravel.com/


La question de l’application du concept de surtourisme à l’Antarctique n’est pas simple, car les définitions précédentes clarifient certaines déterminations et restent vagues sur d’autres, notamment en ce qu’elles font appel à des concepts ambigus (non-durabilité, capacité porteuse d’un milieu). Pour autant, elles pointent des conditions qui pourraient être apparemment remplies au moins dans certains endroits et à certains moments de l’année, en Antarctique. La plupart des études sur le surtourisme portent sur des villes européennes et leurs auteurs ne songeraient sans doute pas à les appliquer à l’Antarctique. Néanmoins, ces développements donnent des indications de la manière dont ce concept pourrait être appliqué à l’Antarctique. Le surtourisme n’est pas seulement le problème des villes, mais peut aussi concerner des endroits plus petits et isolés. Enfin, le surtourisme n’est pas synonyme de tourisme de masse, bien qu’une augmentation du nombre de touristes soit un facteur qui recouvre plusieurs aspects associés à ce phénomène.

Une étude commanditée par le conseil mondial du tourisme et du voyage (World Travel & Tourism Council) conclut que les cinq défis associés au surtourisme sont : l’aliénation des communautés locales et autochtones, la dégradation de l’expérience touristique, la surutilisation des infrastructures, les dommages environnementaux, et les menaces sur la culture et le patrimoine. Le présent travail examine brièvement l’application de chacun de ces cinq critères à l’Antarctique.

L’Antarctique ne compte pas de communauté autochtone ni d’ailleurs de résident permanent, mais seulement des résidents temporaires et des usagers réguliers de certains sites, dont les activités peuvent être affectées par la croissance du tourisme. Ceux-ci peuvent être des personnels des bases, des scientifiques qui travaillent sur le terrain pour conduire des recherches à long terme sur certains sites, ou des tours opérateurs utilisant fréquemment certains sites pour débarquer leurs passagers. Sans oublier bien sûr, les touristes eux-mêmes. La plupart des stations de recherche règlementent et limitent les visites de touristes, mais il existe un potentiel mélange des genres dans certaines stations. À proprement parler, il n’y a pas d’infrastructures touristiques en Antarctique, seulement un petit nombre d’installations dédiées à l’accueil des touristes lors de leurs débarquements (par exemple, le site historique et monument n° 61 à Port Lockroy, géré par le Royaume uni) et quelques lieux d’hébergements. Il existe également un risque de surcharge touristique dans certains sites qui ne sont pas pour autant dotés d’infrastructures d’accueil touristique, comme en témoigne le guide des sites pour les visiteurs qui comprend des sites régulièrement ou fréquemment visités par des touristes. Selon ce Guide, seulement 100 passagers encadrés peuvent débarquer à tout moment — moins encore sur certains sites particulièrement sensibles — pour empêcher un effet de cumul trop important de l’empreinte anthropique. Pour certains sites répertoriés par le guide SGV, dotés d’une faune abondante, il est recommandé d’observer par précaution, un temps de carence pendant les soirées, à l’instar de la fermeture d’un zoo en fin d’après-midi, évitant une fréquentation ininterrompue favorisée en Antarctique par le jour polaire permanent en été. En dépit de ces précautions, certains sites promettent à court terme, d’être l’objet d’un flot régulier de passagers débarqués tout au long de la haute saison. Le risque d’une congestion du trafic maritime aux alentours des sites les plus populaires augmente lui-même d’année en année. L’augmentation du nombre de visites aura des effets cumulatifs sur certains sites, que ces effets soient ou pas sensibles pour le visiteur, avec des impacts variés au plan environnemental.

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Union Glacier. Unique base privée en Antarctique opérée par ALE, elle accueille les touristes aventuriers pour des excursions et des treks à ski et assure des liaisons par Twin Otter ou Basler vers Pôle Sud et le mont Winson. Le campement possède une piste de glace autorisant l’atterrissage d’un avion intercontinental en l’occurrence un avion russe Ilyushin - © Le Cercle Polaire


L’augmentation anticipée du tourisme de croisière sera sensible non seulement à terre, mais également dans certaines zones côtières et marines, par exemple, avec l’activité de whale watching dans les zones fréquentées par les grosses baleines. Au cours des dernières années, les chercheurs en cétologie ont noté une augmentation du nombre et de la taille des navires d’expéditions en Péninsule Antarctique. Plusieurs navires ont été vus navigants à grande vitesse dans les zones de chasse aux petits poissons ou de nourrissage de krill de certains groupes de baleines. Les chercheurs ont également noté un changement de comportement des baleines. Plusieurs individus qui se laissaient par le passé approcher, sont aujourd’hui beaucoup plus farouches et se font plus rares. Ce changement de comportement serait le résultat d’un nombre élevé d’observations rapprochées et de poursuites par les navires et les zodiacs. L’IAATO a récemment soutenu la mise en place de mesures d’encadrement pour l’observation des grosses baleines. Il s’agit soit de réduire la vitesse de progression à 10 nœuds (18,5 km/h) dans certaines zones ou pour ceux qui participe au programme de diminution des risques de collisions avec des baleines, d’avoir à la passerelle une personne dédiée qui oriente de manière respectueuse les approches de grosses baleines. Ces mesures sont d’autant plus utiles qu’elles permettent de réduire les collisions entre les grosses baleines et les navires. Cependant, d’autres problèmes encore se posent avec l’augmentation du trafic maritime.

Dans l’immédiat, le surtourisme promet de peser, à certains moments de la saison, sur certains sites de la Péninsule Antarctique très fréquemment visités, et sur certaines routes maritimes, avec une augmentation concomitante des rencontres entre navires et une intensification du rythme de succession des débarquements sur les sites les plus prisés, ainsi qu’une croissance du nombre de touristes participants à des activités sportives ou de plein air, par exemple, de plus en plus longues marches depuis le site de débarquement, et aussi traces visibles de visites antérieures sur ces sites. Partout ailleurs, le risque de surtourisme sera limité, ou nul, mais il existera néanmoins une pression touristique grandissante sur quelques sites relativement accessibles, parmi lesquels : la région de la mer de Ross, accessible depuis les ports de Nouvelle-Zélande ; certaines parties de la terre de la Reine Maud, accessibles par avion depuis Cape Town en Afrique du Sud ; et même le pôle Sud, l’un des endroits les plus isolés de la planète, régulièrement visité par des expéditions indépendantes ou par des groupes de touristes dans le cadre de séjour d’aventure organisé. L’augmentation de ces visites au cours des dernières années a requis des autorités des États-Unis, la National Science Foundation, qui opèrent la base Amundsen-Scott située précisément à pôle Sud, de gérer le camping et les autres activités des visiteurs près de pôle Sud géographique sans interférer avec les activités de la station.

Certains spécialistes suggèrent que le « surtourisme » n’est pas encore bien conceptualisé et requiert des développements ultérieurs. Ils font valoir que le débat autour du surtourisme met l’accent sur les effets de l’augmentation d’un tourisme non règlementé et pointe les insuffisances d’un tourisme autorèglementé ou d’un marché autorégulé. Plus de règlementations sur le tourisme de la part des Parties au traité sur l’Antarctique pourraient s’avérer nécessaires et bénéfiques, dans la mesure où il existe une limite à la durabilité d’un tourisme en plein essor. Ce constat appelle notamment une définition claire du concept de « capacité porteuse » (en anglais, carrying capacity) pour différents sites de l’Antarctique. Cette piste de travail était une des conclusions du séminaire interne sur le tourisme en Antarctique conduit par les Parties au Traité en mai 2019.

Quelles sont les tendances prévisibles de l’évolution du tourisme dans les années à venir en comparaison du régime d’évolution moyenne lente et stable qui a prévalu pendant les deux dernières décennies ?

Dans l’ensemble, depuis les 2000, le tourisme en Antarctique a été marqué à la fois par le changement et la continuité, avec un taux de croissance relativement stable, une expansion et une diversification de relatives faibles ampleurs, tempérées par des fluctuations saisonnières, annuelles et décennales. Quelles qu’aient été les tendances au cours des deux dernières décennies la plupart des experts s’accordent à dire que le tourisme polaire devrait connaitre une augmentation significative dans les années à venir, en raison de l’augmentation de la demande (en particulier en provenance des nouveaux marchés asiatiques) et de l’augmentation des capacités. L’augmentation constatée du nombre de touristes au cours des trois dernières saisons est utilisée comme un indicateur avancé, atteignant et surpassant le précédent pic de la fin des années 2000, après l’effondrement économique de 2008.

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Terre de paix, de science... et de tourisme. « Les activités menées dans la zone du traité sur l’Antarctique sont organisées et conduites de façon à limiter leur incidence négative sur l’environnement en Antarctique et les écosystèmes dépendants et associés », article 3 du Protocole de Madrid - © www.dansdeals.com/


Des estimations pour la saison 2019-2020 suggèrent un saut significatif du nombre de touristes. Le tourisme en Antarctique est manifestement en train d’entrer dans une phase nouvelle, et ce nouveau régime d’évolution ne manquera pas de peser sur les discussions relatives à l’encadrement du tourisme austral. Si la croissance est aussi importante que celle prévue, des ajustements dans l’encadrement de l’activité touristique en Péninsule Antarctique seront nécessaires, à la fois de la part des acteurs économiques avec des normes d’application volontaire, et de la part des États Parties au traité sur l’Antarctique, avec des compléments de règlementation juridiquement contraignante. Parmi les actions prioritaires souhaitables, nous retenons : la ratification des instruments obligatoires relatifs au tourisme austral adoptés par la RCTA, mais non encore entrés en vigueur et l’adoption de mesures complémentaires destinées à minimiser les risques environnementaux, les impacts environnementaux cumulatifs et l’expansion du tourisme vers de nouvelles zones de l’Antarctique.

Quelles sont les conséquences attendues s’agissant de la pratique du tourisme et dans quelle mesure, le tourisme en Antarctique est-il en train d’entrer dans une première phase de surtourisme pour ce qui concerne certains lieux, à certains moments de la saison ?

L’augmentation du tourisme en Antarctique recouvre des problèmes qui se posent un peu partout avec l’augmentation du tourisme mondial, notamment pour ce qui concerne les destinations les plus populaires où se pose le problème du surtourisme. Parallèlement, les changements technologiques et de comportements associés à ces technologies sont déjà en train de modifier l’expérience touristique. De plus en plus de touristes voudront voyager en Antarctique pour prendre des selfies et des photos qu’ils publieraient sur les réseaux sociaux. Dans cette perspective, il n’est pas dénué de pertinence de s’interroger sur le développement d’un surtourisme en Antarctique en certains endroits et à certains moments de l’année.

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La mode du Selfie L’Antarctique n’échappe pas à la pratique généralisée de l’égoportrait - © Le Cercle Polaire


L’Antarctique dans son ensemble, ne connaitra probablement pas le problème d’une surfréquentation de touristes, mais certains sites à certains moments de l’année pourraient être exposés à une forme de surtourisme, pour peu qu’on puisse bien sûr appliquer ce concept à l’Antarctique. On peut penser que le concept de surtourisme en Antarctique aurait des caractéristiques différentes de celles applicables aux autres destinations touristiques plus « civilisées ». Il ne s’agit pas seulement de déterminer le type de tourisme et le nombre de visiteurs, mais également le lieu où il se déroule. En conséquence, le seuil du surtourisme serait naturellement beaucoup plus bas en Antarctique que, par exemple, dans les villes européennes les plus visitées. Les indicateurs du surtourisme en Antarctique pourraient inclure les rencontres entre les groupes de touristes ou les navires de croisière, les effets cumulatifs ou les empreintes des visites précédentes sur les sites de débarquement, la dégradation de l’expérience touristique d’une nature sauvage, etc. Le surtourisme et la capacité porteuse sont étroitement liés.

Par ailleurs, de nouvelles frontières pourraient être explorées par les opérateurs touristiques dans des endroits plus éloignés en Antarctique. Les développements à venir semblent dépendre fortement des liaisons aériennes, qu’il s’agisse de l’acheminement des passagers vers leurs navires sur place, ou du transport des personnes vers des infrastructures continentales. En bref, le tourisme ne s’arrête pas et évolue constamment, aussi en Antarctique.

Minimalement défini, le concept de surtourisme sert à rappeler aux acteurs économiques du tourisme austral, aux décideurs politiques et à toutes les parties prenantes que la croissance rapide du tourisme en Antarctique appelle une action pour prévenir des effets indésirables sur l’environnement et sur d’autres valeurs (intrinsèque, esthétique, patrimoniale, etc.) reconnues par les instruments du traité sur l’Antarctique et par l’expérience touristique elle-même. Dans cette perspective, les initiatives annoncées par l’IAATO sont les bienvenues. La mise en œuvre et l’effectivité de ces mesures gagneraient à être contrôlées par l’IAATO et par des observateurs extérieurs afin d’en assurer la stricte observance. Les Parties consultatives au traité sur l’Antarctique devraient elles-mêmes prendre les devants, en s’assurant notamment que les divers instruments obligatoires adoptés par le passé par la RCTA entrent en vigueur, et en prenant d’autres initiatives, telles que la création des « Zones spécialement protégées de l’Antarctique » (ZSPA), afin de garantir que la croissance du tourisme n’ait pas trop d’impact sur la valeur intrinsèque de l’Antarctique. Les États signataires du Traité sur l’Antarctique ont prêté jusqu’ici une attention soutenue aux problèmes de règlementation du tourisme, mais dans la pratique, ils n’ont pas fait grand-chose de tangible. Le saut de croissance de cette activité requiert désormais de leur part des actions concrètes et rapides. ■

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que son l’auteur et ne reflètent aucunement la position officielle de l’ASOC, ni celle de ses membres ni celle d’aucune autre organisation avec lequel l’auteur a coopéré pour élaborer cette enquête.

 

Pour en savoir plus :

■ Statistiques annuelles du tourisme en Antarctique : site de l'IAATO et Secrétariat du Traité sur l’Antarctique 

■ Le cadre juridique des activités touristiques et non-gouverbelementales en Antarctique.  Anne Choquet, (2009). Théoros, revue de recherche en tourisme

■ Antarctic tourism managment and regulation: the need for change. J. Verbitsky (2013). Polar Records, 49(250),

■ Spatial Patterns of tour ship traffic in the Antarctic Peninsula region. Lynch and all. 2019. HJ Lynch, K Crosbie, WF Fagan and R Naveen. Antarctic Science


Ricardo Raura © Décembre 2019 - Le Cercle Polaire Tous droits réservé

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