Juin 2014
Hiver 2013-2014
L’un des maxima d’englacement les plus faibles depuis 30 ans
Ce n’est qu’au tout début de printemps 2014, le 21 mars, que la banquise arctique a atteint son maximum d’étendue hivernale. En moyenne sur le mois de mars 2014, la banquise a couvert l’océan Glacial arctique sur environ 14.8 millions de km2. Cette superficie est supérieure de seulement 300 000 km2 à celle de mars 2006, année record lors de laquelle on enregistra la valeur la plus faible du maximum hivernal d’étendue sur la période des observations satellitaires. De fait, l’hiver 2014 doit être considéré comme un hiver peu englacé, faisant partie des quatre ou cinq hivers les moins englacés de cette période. L’étendue des glaces en mars a été de quelques 730 000 km2 plus faible que la moyenne de référence calculée sur la trentaine d’années 1981-2010. Mars 2014 confirme aussi la lente diminution de l’étendue des glaces hivernales, de l’ordre de 2.6% par décennie, visible depuis le début de l’observation satellitaire. A plus courte échelle de temps, 2014 s’inscrit dans la continuité de la diminution de l’étendue de la banquise du mois de mars observée depuis 2012, année lors de laquelle les secteurs particulièrement englacés de la mer de Béring et de la baie de Baffin pouvaient suggérer une reconstitution relative du couvert de glace hivernale.
Maximum d’extension de la banquise arctique hivernale le 21 mars 2014 – © NOAA
Dans la lignée de ce que l’on l’observe maintenant systématiquement depuis le début des années 2000, mars est le mois le plus englacé de l’année 2014. Le maximum hivernal apparaît en général au cours, voire à la fin du mois de mars – le maximum le plus tardif a été observé en 2010, le 31 mars- mais il n’en a pas toujours été ainsi. Dans les décennies 80 et 90, on a pu observer certaines années le maximum hivernal de glace dès mi-février, soit quelques 6 semaines plus tôt que la date du maximum le plus tardif. Comme pour l’étendue des glaces, à cette grande variabilité interannuelle de la date du maximum d’englacement se superpose une tendance persistante conduisant à un maximum de plus en plus tardif. Les raisons de cette tendance sont encore à déterminer mais pourraient résider en partie dans le fait que des vents propices à l’expansion du couvert de banquise produisent des effets plus visibles sur un couvert de faible étendue en permettant l’envahissement tardif de régions libres de glace par les glaces dérivantes.
Le maximum d’étendue des glaces de 2104 diffère essentiellement de la moyenne climatologique sur la période de référence 1981-2010 par l’englacement réduit dans les secteurs de la mer de Barents et de la mer d’Okhotsk. En mer de Barents, cette anomalie est dans la continuité du déclin persistant du couvert de glace mis en évidence dans ce secteur non seulement sur les décennies récentes, grâce aux satellites, mais aussi sur la période beaucoup plus longue des quatre derniers siècles, à partir d’enregistrements historiques. Autre fait remarquable qui a pu contribuer à faire de 2014 une année de faible englacement hivernal par rapport aux années précédentes : le désenglacement de la mer de Béring, secteur où, traditionnellement, la banquise hivernale présente une étendue supérieure à la moyenne climatologique depuis de nombreuses années. En janvier et février 2014, les vents du nord qui sont traditionnellement responsables de températures froides et d’une expansion vers le sud de la banquise dans cette région ont laissé place à des vents d’est qui ont limité la congélation et réduit l’expansion vers le sud. C’est peut-être à la suite de ce désenglacement exceptionnel que l’on a assisté ce printemps à une débâcle précoce de la banquise en mer de Béring obligeant les pêcheurs de et les exploitations off-shore à faire face à la déstabilisation rapide de ce support essentiel pour leurs activités.
Comparaison de l’extension mensuelle moyenne de la banquise hivernale au mois de mars en Arctic depuis 1978 – © NSIDC
Les vents, et plus généralement la variabilité atmosphérique, jouent un rôle important dans les variations interannuelles de l’étendue de la banquise hivernale. Comme dans l’exemple de la mer de Béring évoqué ci-dessus, les vents agissent sur la dérive et l’expansion des glaces dans les zones périphériques du pack arctique, mais aussi véhiculent des masses d’air plus ou moins froides en provenance du continent ou des océans limitrophes, Pacifique et Atlantique. Ainsi, lors de la deuxième semaine du mois de mars dernier, on a assisté à une augmentation rapide de l’étendue de la banquise que l’on explique par un indice très positif de l’Oscillation Arctique, le mode dominant de la variabilité de l’atmosphère en hiver dans ces régions. Ce mode agit de façon prépondérante sur le secteur Atlantique de l’Arctique et une phase positive de l’Oscillation Arctique conduit à des vents favorisant une forte expansion des glaces en mer de Barents. Cet épisode a pu contribuer à limiter cette année la diminution attendue du maximum d’étendue des glaces en mer de Barents. Conjointement, l’Oscillation Arctique contrôle pour beaucoup la température de l’air en Arctique, une phase positive conduisant à des températures plus froides sur le secteur Atlantique Nord, la Sibérie et l’Eurasie. De même, l’épisode de désenglacement de la mer de Béring l’hiver dernier est sans doute à mettre en relation avec la variabilité de l’atmosphère sur le Pacifique. Il faut néanmoins garder à l’esprit que, en sus de ces variations de la banquise d’une année sur l’autre dans lesquelles l’atmosphère est un acteur essentiel, existent des variations plus lentes, à des périodes d’une à plusieurs décennies, dont l’origine semblerait résider dans la variabilité océanique.
Variation des conditions climatiques sur l’hémisphère nord selon que l’indice de différence de pressions atmosphérique (indice d’oscillation arctique) est positif (à gauche) ou négatif (à droite) – © J. Wallace, University of Washington
Variation de l’indice d’oscillation arctique (en noir) et de l’indice d’oscillation nord-atlantique (en rose) depuis 1950 – © http://la.climatologie.free.fr/ao/AO.htm
Comparativement à 2013, le pourcentage de glace pluriannuelle constituant la banquise arctique en fin d’hiver a augmenté en 2014. Ainsi, 43% du pack arctique étaient constitué de glaces pluriannuelles en 2014 contre 30% en 2013. Cette augmentation fait suite au minimum estival d’étendue de glace moins marqué en septembre 2013 comparativement au record de septembre 2012, impliquant qu’en 2013, une quantité plus importante de glace a pu survivre à la fonte estivale et continuer son processus de vieillissement. Ces chiffres qui pourraient être un signe positif de reconstitution de la banquise arctique ne doivent pas néanmoins occulter le constat toujours alarmant de la disparition progressive des glaces les plus anciennes puisque le pourcentage de glaces âgées de plus de 5 ans ne dépasse toujours pas 7%. Les glaces pluriannuelles étant les plus épaisses, cette augmentation relative de leur proportion dans la banquise devrait entraîner une augmentation du volume de glace, une tendance déjà observée par le satellite CryoSat dont l’altimètre permet depuis 2010 d’estimer l’épaisseur des glaces de mer. En octobre 2013, les mesures Cryosat indiquaient un volume de banquise 50% plus élevé qu’en octobre 2012.
Répartition des glaces pluriannuelles en mars 2014 dans l’Arctique (en haut). Variabilité de la proportiondes glaces de différents âges depuis 1983 (en bas) – © NSIDC
Evaluer le pourcentage de glace pluriannuelle prend toute son importance lorsqu’il s’agit de prévoir le comportement de la banquise à l’échelle saisonnière. Améliorer la prévision de la banquise, notamment du minimum d’étendue estival, est un objectif prioritaire de la recherche en Arctique du fait des enjeux socio-économiques qui s’y rattachent. Des études récentes montrent que la structure du pack, notamment le pourcentage de glace pluriannuelle, en fin d’hiver, offre un potentiel de prévision du minimum estival. Ce paramètre n’est cependant pas tout puisque la circulation atmosphérique d’été contrôle elle aussi le couvert de glace estival.
A ce sujet, on peut se rappeler le minimum spectaculaire de septembre 2007 causé par un régime dipolaire de pression atmosphérique établi entre le Groenland et le nord de l’Eurasie. Ce régime avait favorisé tout à la fois l’arrivée de masses d’air chaudes sur le secteur des mers des Tchouktches et de Sibérie Orientale et l’export de glace par le détroit de Fram. De plus, la tendance actuelle vers la prédominance de glaces jeunes entraîne une évolution de l’état de surface de la banquise de printemps, notamment une extension des marres de fonte entraînant une décroissance de l’albédo de surface, qui tend à précipiter la fonte. Evaluer l’importance de ces différents mécanismes dans l’évolution de la banquise estivale constitue un pas essentiel si l’on veut pouvoir en améliorer la prévision.
Marie-Noëlle Houssais, Juin 2014
Pour en savoir plus :
Voir le site du Polar view center de l’Université de Bremen (Germany)
Voir le site du NSIDC (National Snow and Ice Data Center – USA)
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