Avril 2015
Hiver 2014-2015
le plus faible maximum d’extension de banquise jamais enregistré
En cette fin d’hiver arctique, la banquise s’approche de son maximum annuel d’étendue qu’elle atteindra le 25 février 2015, à une date relativement précoce au regard de la distance qui la sépare encore de la date moyenne du maximum, estimée au 12 mars sur la période 1981-2010 (période de référence pour le calcul de la climatologie moyenne des glaces). Si l’on en juge par les observations des dernières décennies, il est assez habituel qu’un premier maximum saisonnier émerge suite à une diminution temporaire de l’étendue des glaces, et soit suivi ensuite d’un rebond du couvert de glace avec une reprise de son expansion lui permettant d’atteindre un maximum absolu courant mars. Ce rebond a bien eu lieu en cet hiver 2015, grâce notamment à une reprise courant mars de la congélation en mer de Béring et en mer du Labrador, mais il n’a pas été d’ampleur suffisante pour permettre à l’étendue de banquise de dépasser le maximum atteint en février. Un scenario assez semblable s’était déroulé en 1996 avec un maximum d’étendue atteint dès le 24 février, mais dans un contexte d’englacement moyen beaucoup plus élevé. Du fait des deux pics successifs d’étendue de la banquise observés en février et mars 2015, les moyennes mensuelles d’étendue de la banquise calculées sur chacun de ces deux mois sont égales.
Maximum d’extension de la banquise arctique hivernale le 25 mars 2015 – © Université de Bremen (Germany)
L’hiver 2015 fut celui d’un record puisque l’étendue du maximum hivernal, estimée à 14,54 millions de km2, fut la plus faible qu’il nous ait été donné d’enregistrer sur la période des observations satellitaires (depuis 1979). Le record était préalablement détenu par l’année 2006 avec un maximum hivernal d’étendue supérieur de seulement 140 000 km2 à celui de 2015. L’étendue moyenne de la banquise en mars 2015, soit 14,4 millions de km2, est inférieure de 1,3 millions de km2 à la moyenne climatologique du mois de mars et confirme un taux moyen de décroissance de l’étendue de la banquise sur la période satellitaire de 2.6% par décennie pour ce même mois.
Le faible englacement de l’hiver 2015 est la résultante d’un faible englacement dans toutes les mers bordières de la banquise avec une exception notable en mer du Labrador ou l’englacement a dépassé la moyenne climatologique. Le faible englacement a été particulièrement marqué dans le secteur Pacifique de l’Arctique où les mers de Béring et d’Okhotsk portent la responsabilité de l’étendue exceptionnellement faible de la banquise hivernale arctique cette année. Ces contrastes régionaux peuvent en partie s’expliquer par des variations de la circulation grande échelle de l’atmosphère. Au cours de l’hiver 2014-15 a persisté une structure particulière caractérisée par un déplacement vers le nord du « courant-jet » atmosphérique au-dessus de l’Eurasie et du Pacifique Nord. Ce déplacement a permis l’émergence de masses d’air relativement chaudes (caractérisées en février par des températures de 4 à 6°C plus élevées que la climatologie) sur le secteur Pacifique de l’Arctique et le nord de l’Eurasie. Ces masses d’air ont envahi les mers d’Okhotsk et de Béring et limité l’expansion de la banquise dans ces régions. Elles sont aussi responsables du très faible enneigement observé en février 2015 en Sibérie et au Tibet, ainsi que dans l’ouest des États-Unis en avril. A l’inverse, le courant-jet s’est trouvé déplacé vers le sud sur l’est des Etats-Unis, entrainant des incursions d’air froid polaire sur ces régions, avec les conséquences que l’on connaît d’un hiver particulièrement froid et enneigé, et un fort englacement en mer du Labrador.
Comparaison de l’extension mensuelle moyenne de la banquise hivernale en Arctic depuis 2010 – © NSIDC
Les variations du courant-jet atmosphérique font l’objet de nombreuses recherches visant à comprendre leur origine. Certaines études suggèrent un effet du déclin de la banquise arctique qui augmenterait la probabilité des méandres de ce courant et favoriserait l’occurrence d’évènements extrêmes. Plus récemment, c’est la variabilité intrinsèque du Pacifique Nord qui a été mise en cause via l’existence de téléconnexions entre les régions tropicales et septentrionales du Pacifique. Si la variabilité des régions tropicales du Pacifique est largement dominée par l’ENSO, une partie de la variabilité de la température de surface océanique dans l’ouest de ces régions est associée au Mode Nord-Pacifique (NPM). Le NPM est dans une phase positive (correspondant à des températures océanique chaudes) persistante depuis l’été 2013 (alors que l’ENSO est relativement neutre) ce qui aurait permis une extension vers le nord et l’est des eaux chaudes du Pacifique tropical. Il reste cependant à évaluer la valeur statistique des mécanismes mis en évidence sur ces dernières années.
Concentration en glace de la banquise hivernale au mois de mars 2015 – © NSIDC
La distribution de la banquise arctique en fin d’hiver 2015 présente une singularité vis-à-vis du contraste entre secteurs Pacifique et Atlantique en comparaison de la climatologie. Coté Pacifique, la mer de Béring se distinguait traditionnellement comme l’unique région de l’Arctique où l’englacement hivernal de ces dernières années dépassait la moyenne climatologique. Déjà en 2014, cette particularité n’avait pu être confirmée mais, en 2015, c’est une diminution spéculaire des glaces dans ce secteur qui la remet en cause. Coté Atlantique, si la diminution particulièrement rapide du couvert de glace hivernal en mer de Barents continue, ce dernier a montré quelque résistance cet hiver puisqu’en janvier, la position du bord de la banquise dans cette région était encore proche de la moyenne climatologique. Le couvert de glace hivernal en mer de Barents est pour beaucoup constitué de jeune glace issue de la congélation locale, très sensible aux échanges de chaleur avec l’océan. Il est de ce fait très sensible aux apports de chaleur par le courant d’eaux atlantiques qui pénètre par l’ouest, au large de la côte septentrionale de la Norvège. L’englacement plus important observé en 2015 pourrait être ainsi dû à une diminution de la température ou du volume de ces eaux atlantiques. L’océan est dans ces régions une source de variabilité mais aussi de prévisibilité du couvert de glace.
Marie-Noëlle Houssais, Avril 2015
Pour en savoir plus :
Voir le site du Polar view center de l’Université de Bremen (Germany)
Voir le site du NSIDC (National Snow and Ice Data Center – USA)
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