L’usage de la barque à moteur et du treuil pour poser et remonter les lignes facilitent la pêche, mais leur coût élevé, tant à l’achat que pour l’entretien, est loin d’être accessible à tous les groenlandais – © S. Hergueta – Le Cercle Polaire
Décembre 2010
Le Groenland vu du Groenland
Peuples “en développement” ? Peuples “primitifs” ? La relation entre l’homme et son milieu dans l’environnement Arctique est souvent fantasmée, parfois moquée ou critiquée. Le vote récent de la régulation européenne interdisant l’importation des produits dérivés du phoque en Europe traduit l’incompréhension dont patissent encore les peuples arctiques premiers. L’objectif de cette chronique est simple : donner un appercu des changements en cours au Groenland, territoire emblématique de l’Arctique. Loin de proposer un catalogue d’images d’Epinal sur les traîneaux à chiens, les ours polaires et autres eskimos, il s’agit simplement de mettre en lumière les transformations politiques, économiques, sociales ou environnementales en cours au Groenland, afin de donner une image plus conforme à la réalité d’un pays à la fois si proche et si différent de l’Europe.
par Damien Tresallet, Volontaire international français à l’université du Groenland d’iIlisimatusarfik.
Lorsque le Groenland occupe le devant de la scène médiatique, c’est la plupart du temps pour évoquer les conséquences « désastreuses » du changement climatique sur la faune, la flore et le mode de vie de ses habitants. Or, une analyse plus fine du changement climatique au Groenland révèle plusieurs caractéristiques intéressantes.
Éparpillés sur plus de 44 000 kilomètres de côtes, les groenlandais ont des points de vue divergents sur le réchauffement. Si partout on déplore à l’unisson la raréfaction de l’ours polaire, dans la partie sud de ce magnifique territoire on préfère faire contre mauvaise fortune bon coeur, et souligner le développement de l’agriculture groenlandaise. Ainsi, quelques légumes groenlandais font leur apparition sur les étals des supermarchés groenlandais, et dans la cantine du principal hopital du sud du pays, à Qaqortoq. Bien que la production actuelle ne permette pas de satisfaire toute la demande, le développement de l’agriculture, qui se concentre sur les pommes de terre, choux, salades et rhubarbe, est accueilli comme une bonne nouvelle dans un territoire ou le prix des fruits et légumes est souvent abérrant, parfois deux à trois fois plus chers que les standards occidentaux, pour une qualité bien moindre.
Evidemment, plus générallement, le changement climatique est, directement ou indirectement, porteur de nouvelles opportunités de développement économique pour le Groenland, via le tourisme, l’exploitation des matières premières ou l’ouverture de nouvelles routes maritimes dans l’Arctique. Toutefois, l’étendue des bénéfices de ces nouvelles activités pour la population groenlandais reste encore à déterminer.
Les conséquences les plus néfastes du réchauffement sont, elles, principalement ressenties au nord du territoire. Le mode de vie traditionnel inuit est y mis à rude épreuve. Ainsi, à Qaanaaq par exemple, l’humidité qui provient du dégel du permafrost fragilise considérablement l’habitat traditionnel en bois, non concu pour résister à ce nouveau type de climat. La seule solution consiste alors à surélever un peu plus les maisons par rapport au niveau du sol, et à en améliorer l’isolation. Évidemment ce type de travaux est encore plus coûteux dans ces régions extrêmes que dans d’autres parties du globe : frais d’acheminement des outils et matériaux sont particulièrement prohibitifs et uniquement possibles une partie de l’année, lorsque le port n’est pas pris par les glaces.
L’activité hivernale principale, dans les régions groenlandaises au nord du cercle polaire arctique, est elle aussi menacée. Le traineau á chiens, principal mode de transport mais aussi pilier de l’identité nord-groenlandaise, est de plus en plus remis en question. Il est économiquement impossible pour une famille groenlandaise de nourrir toute l’année une meute de 15 chiens de traineaux si la fragilité ou même l’absence de glace ne permettent plus leur utilisation. Malheureusement, ces mauvaises conditions de glace ne favorisent pas toujours un repli vers l’activité de pêche, la navigation étant rendue trop dangereuse par le grand nombre d’icebergs et l’absence de soleil durant une partie de l’hiver. En somme, l’hiver est toujours froid, mais plus assez pour que les nord-groenlandais continuent à vivre comme leurs ancètres.
Port de Qaqortoq, Groenland occidental – © S. Hergueta – Le Cercle Polaire
Ainsi, comme l’indique deux documentaires d’Aka Hansen, Dobbelt Effekt et Grøn Land, produits par la compagnie Tumit Productions et projetés au forum alternatif de la COP15, la relation des groenlandais au changement climatique est ambigüe, et dépend de la région analysée. Conscients des changements en cours, les habitants de la plus grande île du monde mettent avant tout l’accent sur l’adaptation aux modifications de l’environnement, plus que sur la lutte contre le changement climatique.
Historiquement, la vie des Inuit est fondée sur une relation très forte à leur environnement. Contraints de se déplacer au plus près des mammifères marins qui leur fournissaient une grande partie de leur alimentation mais aussi la matière première nécessaire à la fabrication de leurs vêtements, outils ou ustensiles, jusq’au vingtième siècle, l’adaptation aux conditions naturelles représente un défi qui fait partie intégrante de la culture Inuit. La sédentarisation et l’arrivée d’un mode de vie plus moderne n’ont pas pour autant réduit à néant cette relation homme/nature, mais l’aurait simplement transformé.
D’une part, l’activité économique est toujours fondée sur les ressources naturelles : l’activité minière et la pêche constitutent encore plus de 90 % des exportations annuelles du territoire. D’autre part, le fossé s’accroit entre les groenlandais qui ont accès aux opportunités offertes par le développement économique de villes comme Nuuk, Sisimiut, Ilulissat ou Qaqortoq, et les groenlandais des petits villages isolés pour lesquelles la nature pourvoit directement aux besoins les plus essentiels, et où l’activité économique. Le chef de l’administration groenlandaise Kuupik Kleist a dernièrement résumé ce creusement des inégalités : si le niveau de vie des groenlandais s’est sans conteste élevé durant la dernière décennie, le fossé entre les plus riches et les plus pauvres a lui aussi dangereusement augmenté.
Les conséquences du changement climatique au Groenland sont donc complexes à analyser, compte tenu de la géographie de l’île, de l’histoire particulière qui la relie à ses premiers habitants, et des différences de développement économique et social des régions qui la composent. Qu’induit cette complexité pour la gestion de la politique de l’environnement au Groenland ?
Le gouvernement groenlandais, dont l’autonomie politique s’accroît rapidement, a choisi de mettre l’accent sur la qualité de vie de ses habitants. Dernièrement, deux programmes importants ont été lancés : un programme de réduction des inégalités, dont les contours restent encore à définir, et un grand programme d’investissement de 4 milliards de couronnes d’ici 2020 afin d’améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments, réhabiliter les anciens logements et traîter les rejets (PCB, amiante) crées lors de la rénovation de ces derniers. Ce projet sera réalisé en coopération avec l’université de Aalborg, au Danemark. Ce plan d’investissement, le premier de ce type au Groenland, indique que, malgré les différences entre le Nord et le Sud du territoire, l’administration centrale groenlandaise entend user à plein de son nouveau statu d’autonomie renforcée pour moderniser le pays, tout en bénéficiant des innovations technologiques offertes par les liens forts que le Groenland entretient toujours avec le Danemark.
Damien Tresallet
Pour en savoir plus :
C. Emerson, 2010, “The Future History of the Arctic”, The Bodley Head, London
Pierre Tavernier, 2010, “Weather Variability and Changing Sea Ice Use in Qeqertaq, West Greenland 1987-2008”, presentation for French Days’s scientific seminar, Nuuk, May 28
Pierre Taverniers, 2009, “Comment les Inuit voient le réchauffement climatique”, Pôles Nord et Sud n°2, été 2009
Lire sur le site du Cercle Polaire par Stanislas Pottier, 2010