Le sauveur de l’Antarctique Robert Hawke s’est éteint à l’âge de 89 ans

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Mai 2019

Le sauveur de l’Antarctique Robert Hawke s’est éteint à l’âge de 89 ans

Robert Hawke, Michel Rocard et Laurent Mayet – © Le Cercle Polaire


 
L’association Le Cercle Polaire subit, avec tant d’autres, la perte de l’ancien Premier ministre australien Robert Hawke décédé chez lui le 16 mai 2019 à l’âge de 89 ans. Dans un dernier hommage rendu par la presse australienne, le quotidien numérique 7NEWS.com.au l’a célébré comme un « grand australien » peut-être même, le « plus éminent australien de la période post-seconde guerre mondiale ».

Dans l’histoire récente de l’Australie, Bob Hawke et son ministre Paul Keating sont en effet crédités d’avoir modernisé l’économie en créant les conditions qui ont ouvert la voie à une longue période de croissance économique et de création d’emplois. Le travailliste Bob Hawke passe également pour avoir réussi le tour de force de faire travailler ensemble les mouvements syndicalistes et la communauté des patrons d’industries, d’avoir contribué à l’augmentation du salaire social minimum et au renforcement des soutiens financiers aux foyers à bas-revenus.

Quand on interrogeait Bob Hawke, que nous avons eu l’honneur de côtoyer pendant plusieurs années en tant que Président d’honneur de l’association, sur sa longue carrière politique (Premier ministre d’Australie de mars 1983 à décembre 1991), il répondait que la réalisation à laquelle il était le plus attaché était la protection environnementale de l’Antarctique garantie par le « protocole de Madrid », le protocole au Traité sur l’Antarctique relatif à la protection de l’environnement en Antarctique signé à Madrid le 4 octobre 1991. Le jour de son décès, son épouse Blanche d’Alpuget rappelait cet attachement fort au continent blanc dans une déclaration rendue publique : « Parmi les réalisations dont Bob était le plus fière, figurent l’augmentation de la proportion du nombre d’enfants qui terminent leurs études secondaires, son rôle dans la fin de l’Apartheid en Afrique du Sud et sa campagne internationale couronnée de succès, de protection de l’Antarctique contre l’exploitation des ressources minérales ».

Pour mesurer la dette immense que la communauté internationale a contractée à l’égard de l’ancien Premier ministre australien HAWKE et à son compère l’ancien Premier français Michel Rocard, il faut faire ici un peu d’histoire. En juin 1988, la convention dite de Wellington relative à la règlementation de l’exploitation des ressources minérales en Antarctique était ouverte à la ratification et sans l’action audacieuse du Premier ministre français Michel Rocard et du Premier ministre australien Bob Hawke qui eurent le loisir de se rencontrer et de se concerter lors de la visite d’État du Premier ministre australien en France en juin 1989, le continent blanc aurait été ouvert à l’exploitation « raisonnée » des ressources minérales. Dès le 25 novembre 1988, date d’ouverture à la signature, 6 Parties consultatives au traité sur l’Antarctique (Afrique du Sud, Brésil, Norvège, Nouvelle-Zélande, URSS et Uruguay) signèrent à Wellington cette convention. Elles furent suivies par les États-Unis, la Pologne, l’Argentine, le Chili, la Grande-Bretagne, la Chine, la République démocratique allemande et le Japon. L’attention se porta bientôt sur les deux derniers États dont la ratification était nécessaire pour l’entrée en vigueur de la convention : l’Australie et la France.

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Les deux “Papys qui ont façonné l’histoire de l’Antarctique”, Hobbart, 2011 – © Le Cercle Polaire


Un communiqué franco-australien rédigé à la va-vite sur un coin de table dans les jardins de Matignon, soumis moins d’une heure plus tard au Président François Mitterrand annonçait en juin 1989 que la France et l’Australie ne ratifieraient pas la convention de Wellington. « It was all cooked up in the gardens of the Prime Minister’s residence in Paris” ; « I know this is not environmentally appropriate to say but it was done over a smoko … me with a cigar and Michel Rocard with a cigarette.« , nous avait confié Bob Hawke.

Du fait de cette décision, la Règlementation des activités relatives aux ressources minérales de l’Antarctique ne put entrer en vigueur. Il fallait aller plus loin et mettre à profit cette mise en échec de la convention de Wellington pour promouvoir un régime ambitieux de protection de l’environnement de l’Antarctique. Le 18 août 1989, un deuxième communiqué franco-australien annonçait que « les deux Premiers ministres français et australien ont indiqué que l’exploitation minière en Antarctique n’est pas compatible avec la protection de l’environnement fragile de l’Antarctique. Ils reconnaissent que le moratoire sur les exploitations minérales continue. Dans le but de poursuivre l’œuvre accomplie par le système du traité sur l’Antarctique, les deux pays proposeront aux Parties au Traité de négocier une convention globale de protection de l’environnement qui fera de l’Antarctique une réserve naturelle. […] Une telle convention pourrait poser les principes d’une réglementation des activités humaines ayant une incidence sur l’environnement dans la zone du Traité. […] » (Problèmes de l’environnement. Communiqué conjoint des Premiers ministres français et australien, Canberra, Australie, le 18 août 1989)

La France et l’Australie présentèrent leur proposition dans le cadre de la XVe réunion consultative du traité sur l’Antarctique (RCTA XV) qui se tint à Paris du 9 au 19 octobre 1989, et appelèrent les autres Parties consultatives à ouvrir de nouvelles négociations. Les États-Unis et la Grande-Bretagne refusèrent le principe d’une interdiction définitive des activités minières en Antarctique. Un clivage surgit entre les États dits “conservationnistes”, partisans de conserver cet espace naturel sauvage, et les États “anti-conservationnistes” (J.-P. Puissochet, « Le Protocole au Traité sur l’Antarctique, relatif à la protection de l’environnement (Madrid, 4 octobre 1991) », AFDI, 1991, p. 765). À la pointe du combat conservationniste, le « groupe des 4 » – Australie, Belgique, France et Italie – militait pour une protection rigoureuse de l’environnement austral, une longue période de prohibition des activités minières et une procédure rigide pour décider son éventuelle levée à l’expiration de ce délai. Dans le camp opposé qui comprenait l’Argentine, les États-Unis, et l’Uruguay, la Grande-Bretagne, chef de file des pays anti-conservationnistes proposait que le moratoire ne dépassât pas 20 ans et qu’à la fin de cette échéance, l’interdiction soit automatiquement levée. Étonnamment, la Norvège, État possessionné en Antarctique, qui faisait partie des six Parties consultatives à signer la convention de Wellington dès l’ouverture à la signature, jouera un rôle déterminant dans l’élaboration d’un consensus “conservationniste” en produisant un document, le « document Andersen » du nom de l’ambassadeur norvégien Rolf Trolle Andersen, qui deviendra le document de base des discussions.

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Intervention de Robert HAWKE à la 35e RCTA à Hobbart, juin 2012 – © Le Cercle Polaire


Dans un courrier adressé à son homologue britannique Douglas Hurd, le ministre des Affaires étrangères de la France, Roland Dumas, exposait en avril 1991, la doctrine française de préservation globale de l’environnement antarctique : « La négociation qui a commencé à Viña del Mar l’an dernier ne pourrait aboutir que si un consensus se dégageait au sujet des ressources minérales de l’Antarctique ; si tel n’était pas le cas, le système du traité sur l’Antarctique pourrait être remis en question. […] Je me réjouis que le Royaume-Uni soit sensible à cette évolution générale, renforçant ainsi les chances de consensus. […] Il me semble souhaitable d’établir une interdiction sans période déterminée et, dans cette perspective, d’adopter telle quelle et sans addition la disposition prévue à l’article 6 du document Andersen, base des discussions à la réunion de Madrid : “toutes activités concernant les ressources minérales, excepté la recherche scientifique, sont interdites” […] La France ne saurait souscrire à une interdiction limitée qui orienterait l’avenir dès maintenant vers une exploitation des ressources minérales de l’Antarctique. Il convient dans cette affaire de laisser aux générations futures toutes leur liberté de jugement en fonction de circonstances dont par nature, nous ne saurions préjuger » (Courrier du ministre d’État, ministre des Affaires étrangères Roland Dumas, au ministre des Affaires étrangères du Royaume-Uni, Douglas Hurd, 18 avril 1991). Le clivage entre les partisans d’une période déterminée et les partisans d’une période indéterminée menaçait de compromettre les négociations et il fallut bien trouver un compromis. Les États-Unis insistaient beaucoup pour que le projet de protection de l’Antarctique « n’hypothèque pas les options des générations futures » (Communiqué de la Maison Blanche du 3 juillet 1991). Dans un communiqué de la Maison-Blanche du 3 juillet 1991, le Président BUSH annonça que les États-Unis signeraient le projet d’accord amendé à leur demande, qui interdisait de façon absolue les activités minières pendant une durée de 50 ans et prévoyait des conditions strictes pour revenir sur cette interdiction.

 

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Intervention de Michel ROCARD à la 35e réunion des Parties consultatives au traité sur l’Antarctique – © Le Cercle Polaire


Le 4 octobre 1991, 23 des 26 Parties consultatives – Ces 23 pays étaient l’Afrique du Sud, la République fédérale d’Allemagne, l’Argentine, l’Australie, la Belgique, le Brésil, le Chili, la Chine, l’Équateur, l’Espagne, les États-Unis, la Finlande, la France, l’Italie, la Norvège, la Nouvelle-Zélande, les Pays-Bas, le Pérou, la Pologne, le Royaume-Uni, la Suède, l’URSS et l’Uruguay. Trois États (République de Corée, Inde et Japon) indiquèrent qu’ils n’étaient pas en mesure de signer dès l’issue de la Conférence ce document qui devait au préalable être formellement approuvé par leurs gouvernements mais qu’ils le feraient ultérieurement à Washington – et 8 des 14 Parties non consultatives – Les 8 États parties non consultatives qui ont signé le Protocole à Madrid sont l’Autriche, le Canada, la Colombie, la République populaire démocratique de Corée, la Grèce, la Hongrie, la Roumanie et la Suisse. – signaient à Madrid le Protocole au Traité sur l’Antarctique relatif à la protection de l’environnement qui déclare l’Antarctique, « réserve naturelle, consacrée à la paix et à la science », où « toute activité relative aux ressources minérales autres que la recherche scientifique, est interdite » et où « les activités sont organisées et menées sur la base d’informations suffisantes pour permettre l’évaluation préalable et l’appréciation éclairée de leurs incidences éventuelles sur l’environnement en Antarctique et sur les écosystèmes dépendants et associés ». Pour la première fois dans l’histoire, une très vaste partie de la superficie du globe (les terres et les eaux situées au sud du 60e parallèle Sud) se voyait qualifiée de « réserve naturelle » et soumise à un régime de stricte protection environnementale. En outre, l’expression « réserve naturelle » n’avait encore jamais été appliquée dans un cadre autre que national. Trente-deux ans après le gel du contentieux territorial en Antarctique par le traité de 1959, le protocole de Madrid consacrait un nouveau gel, celui des activités minières.

Vingt ans après ce coup de force diplomatique, en 2011, l’ancien Premier ministre australien retiré de la vie politique recevait un courrier de son ancien compère Michel Rocard, président d’honneur de l’association Le Cercle Polaire, dans lequel ce dernier lui demandait son soutien en faveur d’une action de renforcement de la gouvernance écologique de l’Antarctique. La réponse de Bob Hawke ne tardait pas à arriver : « Count me in. We have to finish the job. We must ensure that Antarctica survives its greatest man-made threats to its existence; climate change, and the voracious quest for profits over preservation, of these unique places on our continent ».

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Bob Hawke, Michel Rocard et Neil Hamilton – © Le Cercle Polaire


Pour sceller cette nouvelle complicité rejouée vingt ans plus tard entre les deux pères politiques du protocole de Madrid, l’association Le Cercle Polaire créait une antenne relais en Australie pilotée par Neil Hamilton, ancien directeur du WWF Arctique et ancien conseiller politique du Programme arctique de Greenpeace. C’est lui qui assurait depuis l’Australie, les relations avec l’ancien Premier Bob Hawke. Une première initiative fut lancée en octobre 2011 à Hobart en Tasmanie où une cérémonie de célébration du 20e anniversaire de la signature du protocole de Madrid fut organisée à l’Institut Antarctique australien (Australian Antarctic Division) en présence des deux anciens Premiers ministres, Bob Hawke et Michel Rocard. Cette réunion de commémoration fut l’occasion de réanimer « l’esprit antarctique » (Antarctica spirit) au travers d’une déclaration solennelle sur la pérennité du moratoire minier en Antarctique intitulée : « Long live Antarctica ».

RocardHawke largeédition du 12 juin 2012 du quotidien tasmanien MERCURY


À partir de 2011 et de nombreuses années durant, l’association Le Cercle Polaire bénéficiera de l’aura internationale de ses deux présidents d’honneur Michel Rocard et Robert Hawke, deux figures majeures de l’histoire mondiale de l’Antarctique, pour lancer des actions en faveur du renforcement de la gouvernance écologique de la zone antarctique ; notamment en juin 2012, à Hobart en Tasmanie, à l’occasion de la 35e réunion des Parties consultatives au traité sur l’Antarctique (ATCM XXXV), pour la relance du processus de ratification un peu en panne du protocole de Madrid. Le lendemain de la séance plénière, le 12 juin 2012, le quotidien tasmanien Mercury – the voice of Tasmania publiait en couverture, une photo-montage des deux pères politiques du protocole de Madrid devant un bel iceberg tabulaire assortie de la légende suivante : « Les Papys (Old mates) qui ont façonné l’histoire de l’Antarctique ». Et la manchette d’expliquer que : « l’ancien Premier ministre Bob Hawke et l’ancien Premier ministre français Michel Rocard ont été salué lors de la 35e réunion internationale sur l’Antarctique comme ‟les sauveurs de l’Antarctique » pour avoir réussi ce qui paraissait impossible il y a vingt ans, à savoir convaincre les nations du monde entier de mettre leurs intérêts nationaux et notamment leurs revendications de souveraineté, de côté, pour promouvoir un moratoire minier en Antarctique dans l’intérêt de l’humanité tout entière » (Mercury, édition du 12 juin 2012).

 

 L’association Le Cercle Polaire doit beaucoup à l’ancien Premier ministre Robert Hawke. Nous saluons la mémoire de cet homme politique d’envergure internationale qui est sans doute, avec son compère Michel Rocard, l’un des rares hommes politiques de son temps, à avoir pris au sérieux les enjeux de protection du continent antarctique et d’avoir bien sûr, livré un combat diplomatique en sa faveur, à un moment de l’histoire, où la plupart des pays n’y prêtaient guère attention, si l’on en juge par le nombre de signatures recueillies par la convention de Wellington en mai 1989, un mois avant le coup de force des deux anciens Premiers ministres français et australien.

Laurent Mayet
président-fondateur du Cercle Polaire

Pour en savoir plus :

7news.com.au, Thursday, 16 May 2019, Bob Hawke : Blanche d’Alpuget’s full statement on former prime minister death (Anglais)
Les Membres d’honneur du Cercle Polaire
Voir l’album “Une hutte baptisée Robert Hawke en Antarctique
Lire “Michel Rocard et Bob Hawke sacrés héros de l’Antarctique