Six semaines de mission pour étudier les baleines de l’Antarctique

Tagging Remora photo1

Le Remora s’approche d’une baleine à bosse pour l’équiper d’une balise Argos et prélever une biopsie – © Jean-Benoît Charrassin


Mars 2010

Fin de la mission “baleines de l’Antarctique”

Après six semaines de navigation dans les eaux très agitées de l’océan austral, la mission internationale “Baleines de l’Antarctique” vient de rentrer à Wellington. Malgrè des vents violents et une mer difficile, le bilan de cette mission est riche de données nouvelles : 600 baleines de 8 espèces observées, 61 biopsies réalisées sur les baleines à bosse et 30 balises Argos posées ; deux grandes premières aussi avec les premiers enregistrements des vocalisations du petit rorqual antarctique et celles de baleines à bosse sur leur site d’alimentation. Il faudra reproduire cette mission, si possible avec plusieurs navires pour augmenter la zone de couverture et les chances d’observer les baleines des différentes espèces.
Jean-Benoît Charrassin, océanographe français de la mission, nous fait vivre la mission par email.

14 mars 2010, côte est de la Nouvelle Zélande, 49°00′ S – 170°58′ E
Notre expédition de recherche sur les baleines antarctiques à bord du Tangaroa touche à sa fin, avec les côtes de la Nouvelle Zélande en vue. Nous longeons la côte Est depuis hier et arrivons demain matin (lundi 15 mars) à Wellington. Le voyage a été très agité, avec chaque jour depuis notre départ des îles Balleny (photo) des vents de 40 à 50 nœuds (rafales à plus de 70) et toute une matinée de vagues culminant à 12 mètres (la hauteur de la passerelle). Le navire est particulièrement stable par gros temps mais il a quand même fallu s’accrocher. Les membres de l’expédition ne sont pas malades (nous sommes amarinés maintenant), mais nous sommes tous fatigués par les nuits sans sommeil et les mouvement incessants du navire. La terre ferme sera la bienvenue pour chacun d’entre nous.

balleny Is
Côte des îles Bellany, 23 février 2010 – © Jean-Benoît Charrassin


Le bilan scientifique et opérationnel du voyage est très positif. Nous avons montré que l’on peut mener des recherches non létales sur les baleines dans les eaux antarctiques au moyen de petits bateaux lancés à partir d’un navire océanographique.
Au final nous avons équipé 30 baleines à bosses avec des balises Argos (toutes ne fonctionnent cependant pas parfaitement) (photos). Le suivi des animaux pendant les prochaines semaines permettra de déterminer à fine et moyenne échelle les zones d’alimentation favorables pour les baleines à bosses, ainsi que de décrire leur stratégies de recherche alimentaire. A la fin de l’été, nous pourrons suivre le retour de ces géantes vers le Nord, et décrire pour la première fois en Antarctique de l’Est leur route migratoire vers les zones de reproduction. Nous pourrons également associer une zone de reproduction aux baleines qui se nourrissent en mer de Ross et prés des iles Ballenys, l’une des nombreuses questions sans réponse pour cette espèce.
Nous avons collecté 64 biopsies et photo-identifié 61 baleines à bosses à partir des caractéristiques de leur nageoire caudale (photo). Ces données génétiques et de photo identification iront compléter les catalogues existants qui ne comportaient jusqu’à présent seulement 11 échantillons génétiques pour cette région de l’antarctique. L’analyse de l’ADN des échantillons de peau collectés lors des biopsies permettront d’identifier le sexe de chacune des baleines échantillonnée, de déterminer leur appartenance à l’une des populations (stocks) qui se reproduisent le long des côtes orientale et occidentale de l’Australie, ou dans les iles du Pacifiques de l’Ouest (Nouvelle Calédonie, Tonga, Fidji..), et de préciser ainsi le degré de mélange de ces divers stocks dans la zone antarctique d’alimentation étudiée. La comparaison se fait à deux niveaux, celui de l’ADN mitochondrial, à transmission maternelle, pour lequel on étudie la fréquence des haplotypes, et celui de l’ADN microsatellite nucléaire porteur du génotype, sur lequel on étudie la fréquence des allèles. Le génotype permettra aussi une identification des individus (comme la photo ID) et après comparaison avec les catalogues de déterminer le schéma migratoire de chaque baleine.

Tag & biopsy guns & humpbacks AWE photo 2010 REM 0239 photo2
Le fusil a biopsie et le fusil pour implanter la balise (air comprimé), et deux baleines à bosse vues du Remora – © Jean-Benoît Charrassin


S’agissant de l’étude d’acoustique passive, nous avons déployé 111 bouées-hydrophones (sono-buoys) qui ont permis de déterminer la distribution relative des baleines bleues et d’autres espèces vocalement actives le long de notre parcours. Des vocalisations de baleines bleues, rorquals communs, cachalot et baleines à bosse ont pu être enregistrées. C’est une grande première pour la baleine à bosse qui n’avait pas encore été enregistrée sur une zone d’alimentation. Des vocalisations que l’on pense provenir des petits rorquals Antarctiques ont aussi été enregistrées, également pour la première fois. Les hydrophones directionnels ont aussi été utiles pour localiser les agrégations de baleines bleues à grande distance (par triangulation). Bien que nous n’ayons pas vu ces dernières, nous avons ainsi pu localiser des zones riches en krill, où s’alimentaient de nombreuses baleines à bosses.
L’étude d’acoustique active, faite avec 5 échosondeurs envoyant un signal sonore à une fréquence donnée et enregistrant l’écho renvoyé par les organismes se trouvant dans la colonne d’eau, permettra de déterminer la distribution et la biomasse du zooplancton (krill), proies des baleines, et de certains poissons (Pleuragramma) dans les zones étudiées. Ces informations seront reliées aux observations de cétacés (326 observations, 8 espèces, 600 individus) et d’oiseaux (48 espèces) relevées en permanence depuis la passerelle, ainsi qu’aux caractéristiques océanographiques (glace de mer, température de surface) de la région.
L’ensemble de ces informations nous apporte une meilleure connaissance de l’écologie, de l’abondance, et de la distribution des mammifères marins de l’océan austral, dans le cadre des objectifs de gestion et de conservation de la Commission Baleinière Internationale. Les données collectées permettront aussi de mieux connaître le fonctionnement de l’écosystème antarctique.
Nous réfléchissons d’ores et déjà à la répétition de cette expédition dans les toutes prochaines années, avec nous l’espérons l’implication de plusieurs navires de recherche qui permettront une couverture géographique de l’océan austral encore plus large.

flukeJB
Le contour de la nageoire caudale de la baleine à bosse et la forme des marques blanches sur sa face ventrale sont caractéristiques de chaque individu, comme des empreintes digitales – © Jean-Benoît Charrassin


Février 2010

Six semaines de mission pour étudier les baleines de l’Antarctique

La plus grande expédition internationale de recherche sur les baleines de l’Antarctique jamais organisée est partie de Wellington (Nouvelle Zélande) le premier février 2010. Dirigée par le Dr. Nick Gales, directeur du centre australien des mammifères marins (Australian Marine Mammal Centre – Australian Antarctic Division), l’équipe de 18 chercheurs australiens, néo-zélandais, américain, canadien et français va s’attacher pendant six semaines à mieux comprendre la répartition et l’écologie de trois espèces de baleines en mer de Ross et dans les eaux voisines.
Jean-Benoît Charrassin, océanographe français de la mission, nous fait vivre la mission par email.

Tangaroa1
Le bateau de recherche néo-zélandais Tangaroa, en mer de Ross, accueille les 18 scientifiques de la mission de suivi des baleines en Antarctique – © Jean-Benoît Charrassin


Dernière minute

23 février 2010 : fabuleuse journée dimanche avec 12 balises posées et bonne journée lundi où nous avons équipé trois baleines supplémentaires. Malheureusement, la météo annonce 2 jours de mauvais temps. On quitte les îles Ballenys vers l’ouest puis on se dirige vers le sud pour rejoindre la limite des glaces.


19 février 2010, prés des îles Ballenys, 67°10′ S – 165°50′ E
Partis le 1er février de Wellington, nous serons lundi à la moitié du voyage. Nous sommes descendus jusqu’à 73° Sud il y a quelques jours dans la mer de Ross. Le transit entre Wellington et la mer de Ross a duré presque 9 jours, dont deux de mauvais temps, et une aprés midi ou j’ai été malade (ça ne m’était encore jamais arrivé en transit). Le bateau est trés confortable, chacun a sa cabine personnelle avec Salle de douche. La nourriture est trés bonne, avec 2 chefs dont un kiwi passionné de la France et du tour de France ! Le bateau est totalement sans alcool, et les mots bière, vin et whisky sont bannis de la conversation… L’équipage est très expérimenté, et disponible pour nos travaux. Le capitaine Andrew est un Anglais qui vit depuis 30 ans sur les mers du sud. L’equipe scientifique se compose de 18 personnes, australiens, anglais vivant en Australie, kiwis (néo-zélandais), americain, canadien (Quebec) et moi. C’est sympa qu’il y ait quand même un francophone (parfaitement bilingue par ailleurs). Il y a aussi un reporter faisant un documentaire pour la télé néo-zélandaise.
Notre travail se partage entre des quarts d’observations des baleines en passerelle, diverses activités scientifiques sur le bateau -je participe à la manip d’accoustique en déployant une bouée hydrophone tous les matins, qui permet d’enregistrer dans les fréquences utilisées par les baleines bleues et d’autres espèces -, et les sorties sur les zodiac à fond rigide pour déployer des balises sur les baleines, faire des biopsies et prendre des photos. Je fais partie de l’équipage du Remora, pour lequel je m’occupe du GPS et de la prise de notes, avec dans l’idée de passer ensuite à la biopsie.

remora1
Le Remora 1, zodiac à fond rigide utilisé pour l’approche et le marquage des baleines – © Jean-Benoît Charrassin


Pour l’instant, nous n’avons pas eu beaucoup de succès pour le déploiement des balises, avec seulement deux baleines à bosse équipées. J’étais sur le zodiac qui a équipé la première baleine à bosse et c’est une expérience incroyable ! On est à moins de 5 m de la baleine, que l’on approche après plusieurs essais en tenant compte de son comportement de nage et de plongée. Le pilote du bateau a 20 ans d’expérience de ce genre, et il les faut !.
Nous n’avons pas eu de chance non plus avec la météo : beaucoup de mauvais temps qui empèche le repérage des baleines et la sortie des zodiacs. Nous n’avons d’ailleurs pas rencontré beaucoup de baleines à bosse ni de baleine bleues, même si l’accoustique, dont je m’occupe tous les matins, indique la présence de ces dernières. Mais nous somme maintenant dans une région où elles se trouvent normalement en abondance, et nous prévoyons d’y rester une semaine si il le faut pour déployer un maximum de balises.
Nous avons tenté pendant 2 jours de marquer une autre espèce de baleine, les petits rorquals antartctiques (la baleine de Minke chassées par les japonais) mais elles sont incroyablement rapides et pour l’instant cela n’a pas marché. Nous somme très bien équipés pour sortir en mer : nous sommes restés 3 heures en mer à la poursuite des baleines de Minke et nous n’avons commencé à avoir froid qu’au moment de rentrer
Nick le responsable du programme fait preuve d’un flegme tout britannique malgré la pression qui monte et les attentes importantes que le programme suscite en Australie. Il faut cependant que notre taux de déploiement augmente sérieusement dans les prochains jours, si l’on ne veut pas revenir quasi bredouille. Nous mesurons aussi l’abondance du zooplankton par accoustique en continu depuis le navire, une manip. qui marche très bien.
Nous avons passé pas mal de temps à la limite des glaces, parfois dans un pack assez dense, et c’est un spectacle magnifique, qui change chaque jour en fonction de l’état de la mer et du vent. Nous avons apercu nombre de phoques (crabiers, ross, leopards) et de manchots adélie sur les plaques de banquise dérivante. Les oiseaux de mer nous accompagnent depuis le début avec 40 espèces différentes repérées (albatros, petrels, puffins, prions, sternes…) et j’ai coché pas mal d’espèces que je n’avais encore jamias vues. Les iles Ballenys que nous venons d’apercevoir sont incroyablement inhospitalière, avec des falaises abruptes et des glaciers épais. Nous n’avons pas eu de soleil depuis plusieurs jours, et aujourd’ui le vent souffle à 50 noeuds, avec des rafales à 70 !
Voilà pour ces premières impressions. Je vous renverrais des nouvelles dans quelques jours…

Pour en savoir plus :

SORP-logoammc-logo-210Suivre le trajet du Tangaroa

Jean-Benoît Charrassin, maître de conférence au Muséum National d’Histoire Naturelle – Paris


© février 2010 – Le Cercle Polaire – Tous droits réservés