Michel Rocard (2009-2016)

Michel Rocard
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Ancien Premier ministre • France

“Le sauvetage de cette perle du monde qu’est l’Arctique va nécessiter un labeur diplomatique mondial tenace. Y a–t-il tâche plus exaltante ?”

Michel Rocard est Ambassadeur en charge des négociations internationales sur les pôles depuis avril 2009. Ministre de l’Agriculture, Premier ministre puis député européen, il a marqué la vie politique française. Il a été l’initiateur des négociations qui ont conduit au protocole de Madrid protégeant l’Antarctique et, en collaboration avec l’ONG le Cercle Polaire, il a été corédacteur de la résolution européenne sur la gouvernance arctique du 9 octobre 2008.


Je dois ma nomination d’Ambassadeur pour les pôles à l’écho toujours croissant de mon intervention déclenchante donc décisive dans la négociation du Troisième protocole du traité de l’Antarctique. Annexe d’un traité de 1959, le troisième protocole, signé à Madrid en 1991, déclarait l’Antarctique « terre de paix et de science », réserve naturelle classée au Patrimoine mondial de l’humanité, et y interdisait toute activité humaine autre que touristique ou scientifique.
L’idée initiale était donc de tenter d’obtenir, pour l’Arctique, un statut équivalent, protégeant aussi complètement que possible son environnement. Quelques visites sur place, Groenland, Svalbard, Nunavut, m’ont convaincu à la fois de la grandeur et de la beauté de ce patrimoine, de l’aggravation des menaces qui pèsent sur lui, et de l’urgence qu’il y a à le défendre.
Mais les modifications qu’a connues l’Arctique du fait du changement climatique ont tout bouleversé. Jusque vers 1980 l’Arctique, océan et terres riveraines, était une zone interdite d’accès par le froid. Seuls s’y aventuraient les énormes sous-marins nucléaires lanceurs d’engins russes et américains en patrouille dans l’eau libre sous la glace et chacun prêt à tirer sur l’autre, et en surface quelques rares chercheurs scientifiques, mâtinés d’explorateurs. Depuis que le changement climatique a fait son ouvrage, tout a changé et beaucoup d’activités humaines deviennent possibles. La banquise flottante d’été n’a plus aujourd’hui qu’à peine la moitié de la surface qu’elle avait encore il y a vingt ans. Dans ces eaux libres de glace, on n’a pas encore pêché. Mais cela ne saurait tarder. Des milliards de poissons de l’Atlantique et du Pacifique fuient les eaux tiédissantes pour se réfugier dans de plus fraîches. Or il n’y a pas d’organisation régionale de pêche en Arctique. Y-a t-il des espèces menacées, qu’il faudrait protéger ? Quelles sont les périodes de reproduction des espèces concernées pendant lesquelles la préservation de la ressource supposerait qu’on s’abstienne de pêcher ? Va-t-on laisser l’Océan Arctique libre de braconnage ?
Des estimations sérieuses, pas encore des certitudes, mais pas loin, laissent deviner sous les eaux de l’Océan Arctique un deuxième Moyen-Orient : 30% des réserves mondiales de gaz et 17% de celles de pétrole. Faut-il laisser chaque état riverain, ou pire n’importe qui en eaux libres, forer et exploiter ces réserves sans plus de précautions que d’habitude, au moment où le Golfe du Mexique subit la dévastation majeure que l’on connait suite à un accident pétrolier et sachant en outre qu’il n’y a en Arctique ni ports proches ni stations de secours, ni remorqueurs ni moyens de défense stockés, et que les produits chimiques protecteurs agissent très mal par grands froids ?
Déjà le tourisme dans ces eaux augmente massivement, et bientôt le commerce mondial entre l’Europe et l’Extrême-Orient ou la Californie, près de la moitié du total, souhaitera passer l’été et l’automne par les routes polaires pour économiser le détour de 4 ou 5 000 kilomètres par Suez ou Panama. Qui dira les règles de sécurité nécessaires ? Qui les déclarera obligatoires ? Qui en vérifiera le respect ?
En faisant fondre aussi bien la glace que le pergélisol, le réchauffement menace la survie des ours blancs comme celle des hommes. Est-il encore temps de les sauver ?
Un traité global unique eut été nécessaire. Les états riverains n’en veulent à aucun prix ce qui le rend impossible. Le sauvetage de cette perle du monde va nécessiter un labeur diplomatique mondial tenace. Y a t-il tâche plus exaltante ?

Michel Rocard (Septembre 2011)


“Un projet de résolution sur la gouvernance arctique dont je fus corédacteur a été massivement adopté par les eurodéputés”

Les pôles ont longtemps été pour moi des lieux lointains, qui ne m’atteignirent que par l’émerveillement devant des photographies somptueuses, puis par l’inquiétude lorsque des scientifiques se mirent à parler de manière récurrente de recul des glaces.J’en étais là de mon information lorsque, Premier ministre en fonction en mai 1989, j’eus à recevoir mon ami Robert Hawke, Premier ministre d’Australie dans le cadre d’une « visite d’État ». « Bob » me prit à part et me dit : « Michel je suis ennuyé à propos de l’Antarctique. Le traité de Washington de 1959 ne traite pas des activités économiques en Antarctique. Mes voisins et amis néo-zélandais ont conduit de rudes négociations qui ont abouti au projet de convention de Wellington, inacceptable pour mon Parlement. Qu’est ce que la France pense de çà ? » Mon ralliement aux vues de Robert Hawke fut immédiat : ouvrir de nouvelles négociations pour protéger l’Antarctique de toute activité productrice de calories. Un communiqué franco-australien – l’unique de l’histoire ! – suffit à enclencher le processus.
Il nous fallut piloter de près l’ouverture des nouvelles négociations, mais elles réussirent en trois ans et ce fut le traité de Madrid. Maintenant que la rumeur a informé le monde entier que l’Arctique est gravement menacé, cette expérience et ce savoir me collent à la peau. Les problèmes sont fort différents, et beaucoup plus difficiles. Mais l’urgence est tout aussi grande, alors, comme souvent dans la vie politique, « le combat continue ». Le seul moyen de contrecarrer en même temps la dégradation de l’environnement arctique et les revendications territoriales, potentielles ou déclarées, des États riverains, est de négocier un traité international établissant pour cette région un régime de responsabilité contrôlée. Depuis novembre 2007, j’ai travaillé comme conseiller politique au sein de l’ONG le Cercle Polaire sur un projet de traité international de protection de l’environnement arctique. Il en est sorti un beau travail qui ne doit pas rester lettre morte. Une question orale avec débat a été posée par le Parlement européen au Conseil et à la Commission. Suite à ce débat un projet de résolution sur la gouvernance arctique dont je fus corédacteur a été voté, incluant notamment mon amendement demandant au conseil des ministres de l’UE d’engager dès que possible des négociations aux fins d’adopter un traité international de protection de l’Arctique. Ce texte a été adopté à l’énorme majorité de 597 voix sur 641 votants jeudi 9 octobre 2008. Indiscutablement maintenant quelque chose a commencé qu’il va falloir suivre avec attention et énergie.

Michel Rocard (Novembre 2008)


Revue de presse


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