Anthropologue • France
La sagesse ancienne des peuples du Pôle peut nous enseigner un plus profond respect pour la Planète
Jean-Michel Huctin, spécialiste de l’éducation et la culture inuit, enseigne l’anthropologie au Centre Européen pour l’Arctique (CEARC) de l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines. Cofondateur de l’Uummannaq Polar Institute (UPI) au Groenland, il a participé à la création du premier Master international pluridisciplinaire d’études arctiques en France qui accueille des étudiants autochtones. Il est aussi coauteur et coproducteur du film de fiction groenlandais-français « Inuk » récompensé dans de nombreux festivals.
L’Arctique, je l’ai découvert avec les meilleurs guides dont on puisse rêver : ceux qui en ont une connaissance intime parce qu’ils y vivent depuis toujours. Ainsi, en partageant la vie des Inuit pendant de nombreuses années, j’ai senti au fond de moi le lien vital qui nous unit à notre Terre mère. Ce lien, souvent si difficile à saisir pour celui qui est né citadin d’une grande ville, redevient une évidence au loin sur la banquise ou au milieu de la toundra…
Or ce lien à la nature est aujourd’hui aussi perturbé chez les Inuit. A Uummannaq, petite île de la côte nord-ouest du Groenland, j’ai assisté en direct au spectacle grandeur nature du changement climatique. En effet, les 15 années pendant lesquelles j’y ai effectué de longs séjours sont celles du grand recul de la banquise. Combien de fois ai-je vu les chasseurs inuit prendre des risques en traîneau ou en motoneige sur une glace de plus en plus fragile ? Combien ai-je regretté qu’ils soient forcés de remplacer cette viande de phoque dont ils raffolent par du surgelé exporté ? Combien aussi ai-je été ému de les voir abattre certains de leurs chiens de traîneau bien plus difficiles à nourrir et dont ils n’ont plus l’utilité ? Le changement climatique, pour brutal qu’il soit avec les paysages et peuples de l’Arctique, n’est pourtant que l’un des grands défis qui menacent ce précieux lien à la nature que les Inuit ont su préserver jusqu’à nos jours : pollution et urbanisation croissantes, diversité biologique et culturelle en danger, mondialisation mercantile, etc.
C’est pourquoi on peut se réjouir de voir naître dans le monde une aspiration grandissante et irréversible à la protection de l’environnement et à une plus grande justice entre les hommes. Au Pôle comme partout sur la Planète, la conscience des périls écologiques et la quête d’une humanité meilleure passent aussi par l’éducation de tous, en particulier à la sagesse ancienne des peuples autochtones. Ce n’est pas une idée folle puisque, de Montaigne à Malaurie, tous les siècles ont vu passer d’illustres éclaireurs comprenant que tous ces peuples, jadis considérés comme des « primitifs » mais désormais appelés « premiers », ont tant à nous apprendre. Derniers héritiers de cette sagesse ancestrale qui exprimait la conscience remarquable d’appartenir à un écosystème complexe, ils savaient comment conserver l’équilibre entre l’homme et la nature.Nous avons vraiment besoin de cette sagesse que portent les peuples du Pôle pour l’adapter à notre nouveau monde. Elle inspire aujourd’hui mes recherches à la fois en tant qu’anthropologue et en tant qu’homme.