Juillet 2020
Ours polaire : Le compte à rebours est lancé !
Ours polaires en été, échoués sur l’île Wrangel au large de la Sibérie orientale en attente du retour de la banquise à l’automne – © Sergey Gorshkov
Une étude du Polar Bears International et de chercheurs canadiens et américains publiée le 20 juillet 2020 dans le magazine « Nature Climate Change » annonce la disparition quasi totale de l’ours polaire pour 2100.
Cette étude établit une échelle temporelle de risque d’extinction de l’espèce sur la base des prévisions du recul de la banquise arctique avec deux hypothèses d’évolution des émissions de gaz à effets de serre, d’une part, et les niveaux de privations alimentaire qui conduiraient à un déclin rapide des capacités reproductrices et de survie de l’espèce, d’autre part. Le verdict est sans appel. Dans un scénario sans diminution de la production des gaz à effet de serre, la quasi totalité des ours polaire aura disparu en 2010, et seule la population du nord du Groenland ne serait pas touchée.
Impact du changement climatique sur les populations d’ours polaire en 2020 – source : Polar Bears International
Impact du changement climatique sur les populations d’ours polaire en 2080 : à gauche, avec une réduction modérée des émission de gaz à effet de serre ; à droite, sans changement des émissions de gaz à effet de serre – source : Polar Bears International
De fait, sans banquise, l’ours polaire ne peut plus chasser les phoques dont il se nourrit et, comme le soulignait déjà le spécialiste canadien Ian Stirling en 2009 dans son article écrit pour notre revue Pôle Nord & Sud, faute de pouvoir se nourrir correctement, en particulier au printemps quand les phoques se reproduisent, les femelles ours ne peuvent se reproduire. Avant même la famine, c’est la capacité de reproduction qui est directement liée à la présence de la banquise.
Alors que pouvons-nous faire pour aider l’ours blanc ?
Si nous arrivons à réduire nos émissions de gaz à effets de serre, même modérément, la date fatidique de 2100 pourra être légèrement repoussée et les populations du nord de la mer de Beaufort et celles de la mer des Laptev, côté russe, ont des chances de se maintenir plus longtemps, mais à terme, l’espèce disparaîtra.
En effet, chez les mammifères, le niveau minimal à partir du quel une espèce peut se maintenir est assez élevé et nécessite au moins plusieurs milliers d’individus reproducteurs. Hors, c’est justement la capacité de reproduction qui est mise à mal par le changement climatique et le recul de la banquise et la survie d’ours polaires adultes mais incapables de se reproduire ne peut sauver l’espèce.
Déplacer des ours polaires pour les installer en Antarctique ou élever des ours en captivité pour les réintroduire ensuite dans leur milieu naturel comme le suggèrent certaines associations écologistes ?
Impossible de réintroduire des animaux élevés en captivité. Les oursons doivent apprendre à chasser avec leur mère, à la fois pour apprendre à identifier les sites propices à la chasse en fonction de chaque saison et chaque région, mais également les techniques d’approche et de capture des phoques dont les espèces et les habitudes varient d’une région à l’autre de l’Arctique.
Imaginer de les implanter en Antarctique est encore plus absurde. Manchots et phoques antarctiques cohabitent dans un équilibre précaire, également mis à mal par le changement climatique et insérer un nouveau prédateur dans de telles conditions ne pourrait conduire qu’à une catastrophe écologique sans commune mesure avec celle engendrée par l’introduction du lapin, puis du renard, puis de l’hermine en Australie et Nouvelle zélande au début du 20e siècle. L’arrivée de l’ours décimerait les populations de manchots en quelques années, puis celles des phoques crabiers… avant une disparition inéluctable de l’ours polaire peu de temps après, voire même plus tôt si l’ours n’arrive pas à apprendre à capturer les phoques antarctiques dont les comportements diffèrent de ceux de l’Arctique. Sans compter que le régime de variabilité saisonnière de la banquise australe, est diamétralement opposée à celui de la banquise arctique, étant pratiquement absente en été, alors qu’elle s’étend sur une surface grande comme l’Europe en hiver.
Inscrire l’ours polaire à l’annexe I de la convention de Washington sur le commerce des espèces sauvages (CITES) et interdire la chasse ne paraît pas non plus une solution efficace. En effet, l’ours n’est que très marginalement touché par une surexploitation dans certaines régions très localisées (Canada, Fédération de Russie), et les conditions d’inscription d’une espèce en annexe I de cette convention répond à des critères très strictes que l’espèce ne remplit pas.
En 2012, Michel Rocard, ambassadeur français pour les Pôles et Président d’honneur du Cercle Polaire, avait demandé à la ministre de l’environnement de l’époque, Delphine Batho, que la France soutienne la proposition des Etats-Unis en faveur du transfert de l’ours polaire de l’annexe II à l’annexe I de la CITES. En s’appuyant sur un rapport du Cercle Polaire à propos de la situation de l’ours polaire et des critères appliqués par la convention pour de tels transferts, la ministre avait refusé de soutenir la proposition en ne considérant que les aspects liés au déclin des populations (effectifs inférieurs à 5000 individus ou diminution de 50% sur la dernière décennie ou les 3 dernières générations), données indisponibles pour l’ours, sans prendre en compte le critère de « déclin prévisible défini sur la base d’une réduction de la superficie de l’habitat de l’espèce ou de la qualité de son habitat », ce qui s’appliquait déjà au recul de la banquise et de son impact sur l’habitat de l’ours blanc. De fait, en mars 2013, la proposition a été repoussée.
La publication de cette nouvelle étude vient à la fois conforter notre avis de l’époque sur « le déclin prévisible de l’espèce » lié à la réduction de son habitat avec des arguments scientifiques très documentés.
Elle est aussi l’occasion de souligner une nouvelle fois auprès des décideurs politiques l’importance de l’expertise scientifique pour moduler les opinions locales par des approches globales. C’est en particulier le cas dans l’Arctique canadien ou certaines régions du Groenland où les Inuits font état d’augmentation des populations d’ours et des dangers qu’ils font courir aux habitants de ces régions et demandent des augmentations des quotas de chasse, notamment sportive au Canada, qui leurs sont octroyés. Les Inuits ont bien sûr raison, certaines populations locales d’ours augmentent, mais la raison est très probablement liée à des déplacements de certains ours dont les habitats sont déjà fortement impactés par le changement climatique et non une augmentation de la reproduction des ours.
Nous allons quoi qu’il en soit devoir nous habituer à un monde sans ours polaire ou du moins nos petits enfants et leurs descendants.
Stéphane Hergueta
biologiste, membre fondateur du Cercle Polaire
Pour en savoir plus :
Fasting season length sets temporal limits for global polar bear persistence. Péter K. Molnár, Cecilia M. Bitz, Marika M. Holland, Jennifer E. Kay, Stephanie R. Penk et Steven C. Amstrup, 2020. Nature Climate Change volume 10, pages732–738(2020)
Peut-on sauver l’ours blanc ? Le Parisien 22 juillet 2020
Pôles Nord & Sud n°2 : Ours blanc : chronique d’une disparition annoncée par Ian Stirling
Dissensus international autour de la protection de l’ours polaire par Stéphane Hergueta, blog du Cercle Polaire