Michèle Therrien

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Ethnolinguiste • France

Les Inuits sont demandeurs de partenariats. Il faut savoir entendre cet appel fondé sur le partage des compétences

Michèle Therrien est une spécialiste d’ethnolinguistique inuit. Professeur des universités à l’Institut national des langues et des cultures orientales de Paris (Inalco), elle est responsable des enseignements de langue et de culture inuit. Cette enseignante charismatique a formé des générations d’étudiants autour du principe selon lequel langue et culture inuit sont indissociables. Depuis 2007, elle est membre d’honneur du Cercle Polaire.

 

Derrière les arbres, il n’y a pas d’arbres, mais il y a quelqu’un, disait-on dans ma famille. Ces paroles ont sans doute nourri mon souhait de franchir la limite septentrionale des arbres. Dès mon arrivée dans une petite communauté de 300 personnes,situées le long d’un fjord du détroit d’Hudson, j’ai été frappée par la courtoisie, la bonne humeur et la générosité des Inuit. Sans le demander, j’ai eu le privilège d’accompagner des chasseurs lors de leurs déplacements. À la recherche d’un témoignage de reconnaissance, je me suis intéressée à leur langue dont ils disent qu’elle fait d’eux ce qu’ils sont, et qu’elle est à leur peuple ce qu’est la colonne vertébrale au corps. Indissociable des savoirs, et étroitement liée à tous les aspects de la culture, sa vitalité est l’une des conditions du « bien vivre ensemble », inuuqatigiitsianiq, une expression qui renvoie aux relations harmonieuses entretenues avec l’entourage, le monde animal et l’environnement. L’expression dénonce ses contraires, générateurs de tensions : confusion faite par l’Occident entre chasse de subsistance et chasse industrielle ; présence de contaminants organiques persistants dans les eaux arctiques ; risques écologiques liés à l’exploitation hydroélectrique, gazière, pétrolière et minière ; effet de serre causé par les rejets industriels émanant des pays surdéveloppés ou émergents ; inquiétude suscitée par les projets d’intensification de la circulation commerciale et militaire. Face aux défis contemporains, la stratégie inuit, qui s’appuie sur une culture et une langue restées fortes, consiste à associer les pays occidentaux à la réflexion sur le « bien vivre ensemble » considérant qu’il est possible de fabriquer du lien social là où les référents ne sont pas communs. En contrepartie de cette invitation au dialogue, les Inuit souhaitent que leur expertise concernant le milieu soit reconnue. Vivant en permanence sur le terrain, ces observateurs attentifs revendiquent le privilège d’avoir hérité de savoirs précis, ce dont témoignent leur langue et leurs pratiques. Mieux connaître les Inuit permet de prendre la mesure des choix culturels et des moyens matériels qui ont permis à des sociétés dont la résilience n’est plus à démontrer de se développer dans des milieux maintes fois soumis aux changements climatiques. Forcés de s’adapter à l’alternance de périodes de réchauffement et de refroidissement, ils ont, au cours de leur histoire, modifié des aspects de leur occupation de l’espace, de leur technologie et de leur organisation sociale. Nous aurions tort de penser qu’en matière de protection de l’environnement, les décideurs occidentaux n’ont pas besoin de s’appuyer sur l’expérience humaine. Les Inuit sont demandeurs de partenariats au plus haut niveau, il faut savoir entendre cet appel en faveur d’une solidarité fondée sur le partage des compétences.